Les mots Hybride, hybridation, du terme latin “Ibrida” (“Bâtard”), se sont rapprochés du terme grec “hubris” que l’on peut traduire par “Excès ; qui dépasse la mesure”. Pour les sciences naturelles, l’hybride évoque deux assertions : une fécondation qui ne suit pas les lois universelles ou le croisement de deux espèces, de deux genres différents. La figure de l’hybride s’incarne dans l’anormalité et revêt une connotation péjorative.
En art, l’hybride rejoindrait donc la notion de “bâtard”. Sans refaire une généalogie de l’art et de ses développements historiques, la question suivante se pose : l’hybride participe-t-il de la construction d’un objet, d’un processus ? Les premières traces d’hybrides se trouvent, sous formes d’homme-animal, dans la grotte Chauvet ; ils appartiennent encore à un espace symbolique : en majorité, même répétitions stylistiques, même uniformité. Ils ne sont pas construits à partir d’éléments divers, voire hétéroclites, dans un registre de formes où l’emprunt, le mélange, la combinaison créent de nouveaux paradigmes.
Gilles Barbier (Traumatic insemination), 2010 |
“Que m’importe qu’une pièce d’Euripide soit ni tout récit ni tout drame ? Nommez la un être hybride, il suffit que cet hybride me plaise et m’instruise plus que les productions régulières de vos auteurs corrects tel que Racine et autres…” Lessing Phrase étonnante de ce fameux Lessing qui, à partir du “Lacoon” autonomise les disciplines ; l’œuvre porte en elle sa forme autonome, devient indépendante. Tout en définissant ces autonomies, malgré lui, Lessing ouvre la porte de l’hybride… En effet, les Romantiques déjà constèrent cette classification et cloisonnement des arts. Un grand bond en avant…. Prenons comme point de départ tout subjectif, habitus américano centré, le discours de Léo Steinberg qui utilise la notion de post-moderne en 1968, évoquant Warhol, les “Combine painting” de Rauschenberg qui explosent les dogmes modernistes défendus jusqu’alors par Greenberg ; fin de la pureté de l’art et de la spécificité de chaque médium qui prédominaient jusqu’alors. Début de ce qu’on appelait le Post-modernisme ? Une forme de libération, une nouvelle vision s’impose alors, une culture faite de fragments, d’agencements, de différences et de multiplicités, une culture de déterritorialisation, rhizomique pour reprendre les termes de Gilles Deleuze, le territoire s’affaiblit, devient moins stable, les libertés s’éprouvent…
Vadim Sérandon | Porter sa croix |
Mais prendre ce point arbitraire de repère ou de départ de l’hybride dans les arts plastiques n’est guère aisé, car les arts sont traversés dans toute période par cette notion, Elie Faure ne parlait–il pas d’art hybride pour l’art roman ? Chastel pour les “Grotesques” ? Ne parlait-on pas d’Art total concernant les opéras de Wagner ? Les Dadaïstes, notamment le Merzbrau de Kurt Schwitters annoncèrent et pratiquèrent aussi un art hybride fait de performances, de collages, bien loin du modernisme. Le mouvement Fluxus reprit à son compte les enseignements de Dada et annoncèrent le post-modernisme et ce débat interne à l’art américain fait abstraction, sans mauvais jeu de mot, aux réalités européennes (Spoerri, Ben, etc)... Il est aussi à relever que Rauschenberg doit pour beaucoup à Schwitters… L’esthétique de l’hybride est par définition polysémique, faite de strates, de mémoires… Elle se construit par des aller-retours entre passé et futur, il s’empare des interstices qu’offre la culture. Cette esthétique offre un champ élargi de l’art, créatrice et faisant coexister des lieux multiples de l’art et rejoint en cela le principe d’hétérotopie de Michel Foucauld. L’hybridation ne peut être identifiée comme un processus général mais implique une multiplicité de processus ayant chacun son propre fonctionnement.
L’hybride comme nouveau paradigme de l’art L’hybride implique une logique de déplacement, de marquages, parler d’hybride pose l’évident problème de notre société. Sans revenir à la théorie du reflet, la problématique de l’hybride, du Post-modernisme, pose une relation particulière au réel. L’hybride ne peut faire abstraction de son adhérence au monde, d’autant que celui-ci dans sa prolifération effrénée ne cesse de provoquer cette hybridation.
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Revenons à Rauschenberg et au Post-Modernisme, changement de posture, changement de paradigme… La liberté est donc de mise a priori ! Certes, la théorie du reflet serait une régression. La problématique serait plutôt quelle avancée, quelle adéquation se pose face au monde ? D’abord que tout art porte en lui la possibilité de son impureté ! Certaines “avants-gardes” et certains de leurs protecteurs ne purent endiguer ce débordement. De nouvelles technologies, des supports plus poreux avec le monde ont donc pulvérisé cette notion de pureté de l’art et de ses catégories.
Kata Legrady PINEAPPLE | 2008 |
Mais une question d’importance se pose. L’hybride contemporain n’émane-t’il pas d’une mutation du capitalisme, celui du libéralisme tel que nous le connaissons ? Nous n’en ferons pas ici l’énumération, mais notamment le rapport hégémonique des États-unis y est pour beaucoup ! Que faire donc de cette hybridation qui, a priori, semble une querelle américano-américaine mais qui s’est exportée jusqu’au vieux continent et par delà le monde par cette hégémonie jusqu’à en dicter ses lois ? L’hybride ne serait-il pas que de la poudre aux yeux ? Une affaire de gros sous ? Jeff Koons, Murakami, Cattelan… À moindre échelle, Orlan ose un procès à Lady Gaga pour plagiat, quelle ironie !
Orlan possèderait-elle le brevet de la self-hybridation ?
Sophie Langohr NEW FACES | 2011-2012 |
Toujours est-il que nous sommes passés de l’ordre de la figure à celle du virtuel avec les nouvelles technologies, le numérique, le net art, la vidéo… Il y a un requestionnement et une redéfinition du champ de l’art mais celle-ci n’est elle pas américano centrée dans sa naissance ? Le happening, l’installation, et la réinterrogation des pratiques préexistentes sont contemporaines au modernisme.
Pour Bernard Blistène “le projet moderne réfute par sa dimension d’inachevé (…) toute forme de clôture”. L’art moderne et l’art contemporain ne cessent d’agir entre eux où l’art devient une pensée qui se détermine comme pensée de la diversité.
Régis Perray LE DUMPER ET LE CHARBON ALLEMAND | 2013 |
Quand un régime culturel se met au régime politique Toute création culturelle est à la fois un phénomène social et s’insère dans les structures constituées du créateur et du groupe social dans lequel ont été élaborées les catégories mentales qui la structurent. “Le propre de l’idéologie est d’imposer des évidences comme évidences. Le sujet fait corps avec les idées qui lui ont été inconsciemment transmises”. Pierre Bourdieu
valéry Grancher HK Epuphanie |
Comme nous l’avons vu, l’hybride pourrait entrer dans le cadre de cette définition que donne Bourdieu de l’idéologie. Ne pourrions-nous pas envisager l’ “Hybride” comme une émanation idéologique du grand pays dominateur des années 60, les États-unis ? Que ce passage du modernisme au Post-Modernisme, mot utilisé par Léo Steinberg lors de sa fameuse conférence de 1968, au sujet de l’émergence, de nouveaux régimes rendant caduque le Modernisme. Il faut aussi remettre en exergue ce que l’on a appelé la fin des “Grands récits”. Mais ce concept d’art “hybride”, d’art bâtard, d’art impur a permis de formuler, de nouveaux modes de pensées, quid des “Cultural studies”, des mouvements contestataires, du principe de créolisation du monde chère à Edouard Glissant ainsi que son concept de “Mondialité” qu’il oppose au terme “mondialisation”. L’exposition Les Magiciens de la Terre en 1989 au Centre Pompidou peut en paraître un aboutissement.
Myriam Hequet | Installation, 2013 |
L’“hybride” peut donc apparaître comme une forme de coup d’état qui scelle l’hégémonie d’un pays sur le monde mais il ne faut pas être dupe que ce processsus d’hybridation n’est pas récent et traverse en réalité toute l’histoire de l’art. Le danger n’est-il pas non plus qu’échappant aux critères de jugements traditionnels, il ne sombre dans la répétition de lui-même ?
Valéry Poulet
Commissaires d’exposition : Carole Douay & Freddy Pannecocke Edition d’un catalogue d’exposition : 100 pages, 50 illustrations quadri. 5 € en vente sur le lieu d’expsitiuon et par correspondance au Smac. Auteurs : Paul Ardenne, Valéry Poulet, Carole Douay & Freddy Pannecocke
smacmail@orange.fr
http://smacmail.wix.com/
smacsite
SIte Hybride
Participants
Pierre Ardouvin,
Gilles Barbier,
Katia Bourdarel,
Simon Boudvin,
Jacques Charlier (Belgique),
Guillaume Constantin,
Philippe De Gobert (Belgique),
Carole Douay,
Sophie Dubosc,
Richard Fauguet,
Laurent Faulon (Suisse),
Marti Folio,
Jérôme François,
Yves Gobart,
Valéry Grancher,
Sophie Hasslauer,
Myriam Hequet,
Sébastien Hildebrand,
Sophie Langohr (Belgique),
Kata Legrady (Hongrie),
Claude Lévêque,
Carol Lévy,
Jonathan Loppin,
Vlad Mamyshev Monroe (Russie),
Frédéric Nguy,
Freddy Pannecocke,
Régis Perray,
Vadim Sérandon,
Nicolas Tourte,
Dimitri Tsykalov,
Amélie Vidgrain.
Exposants
4