13/10/2012

Delphine Reist : La monographie



Delphine Reist, artiste suisse, se voit consacrée une monographie rétrospective de ses travaux. Celle-ci est à l’initiative de la galerie Triple V(Triple V éditeur) en co-édition avec les Ateliers Berlin éditions et en co-production avec FRI-ART (centre contemporain de Fribourg) (. Cette monographie retrace donc le parcours artistique de Delphine Reist. Cette monographie contient aussi un entre tien entre Delphine Reist et Corinne Charpentier, directrice de FRi-ARTet un excellent texte de présentation du travail de l’artiste par Vincent Pécoil, directeur de la galerie 
Triple V et critique d’art.




Mis en mouvements, arrêts, animations spontanées, d’objets, de voitures, d’outils comme des perceuses, un travail de mise en automation sans intervention humaine apparente. Les objets ne se transforment pas, ne changent pas, restent les mêmes.
« Ce ne sont pas des images d’autres choses et, de ce fait, il s’agit d’une forme d’art « concret », au sens où l’on parle de « musique concrète » »
                                                                                    Vincent Pécoil, galeriste et critique d'art

Donc pas d’intervention humaine, ni d’apparition d’humains dans les dispositifs que nous présentent Delphine Reist.  Ces objets ne semblent pas avoir besoin de nous et donnent l’impression d’être en complète autonomie. D’ailleurs, certaines de ces œuvres agissent en circuits fermés, notamment des systèmes de transvasements, les fluides revêtent une grande importance dans le travail de l’artiste. Et nous nous trouvons là, face à ces phénomènes, comme spectateurs. Spectateurs qui ne peuvent agir sur ce processus, ce fonctionnement autonome, autarcique, qui s’en retrouvent exclus d’emblée et crée un malaise. Bien sûr, Delphine Reist joue de ce malaise et nous laisse à la porte d’un monde qui n’a nul besoin de nous. Nous en sommes donc exclus. Ces machines peuvent se passer de nous, se pose alors l’évidente question, sommes-nous esclaves de ces machines ?




"Averses" @ Delphine Reist, cortesy Centre Georges Pompidou


« L’idée de « bonheur des masses me fascine avec ce qu’elle implique dans l’organisation de la vie de l’homme moderne (…), La volonté de rationalisation des activités humaines a eu un impact majeur sur notre vie et notre environnement » Delphine Reist.
Vincent Pécoil cite, à juste titre, Marshall McLuhan «  L’homme devient (...) l’organe sexuel de la machine, comme l’abeille du monde végétal, lui permettant de se féconder et de prendre sans cesse de nouvelles formes. La machine rend à l’homme son amour en réalisant ses souhaits et ses désirs, en particuliers, en lui fournissant la richesse ». Certes, mais cette vision a son revers !
D’ailleurs, Delphine Reist le souligne ironiquement. Elle crée des machines capables de peindre seules, qui peuvent se substituer à l’artiste lui-même et qui réfèrent au « dripping » de Pollock et aussi aux « All-Over », équivalent des « Earth Rooms » de Walter de Maria. Elle délègue son pouvoir. Une ironie amère, en fait. L’utopie de la machine libérant l’homme prend une allure cauchemardesque.  L’automatisation des chaines industrielles, au lieu de le libérer, de lui permettre de gagner du temps de loisir, au contraire, l’asservit, chômage, sous-emploi, délocalisations... Cette préoccupation sociale est reprise diffèremment avec une œuvre comme dans « fluide »,



"Vidanges"@Delphine Reist

« Dans la pièce « vidange» ( …), le lubrifiant dont l’odeur prégnante émane des bidons, revient souiller le voile blanc issu de l’univers bureaucratique, un univers aseptisé où la production, souvent reléguée dans les pays du Tiers-monde est devenue une abstraction… »
Vincent Pécoil
Celui-ci estime même avec raison que les machines disparaissent de notre champ de vision et deviennent impalpables, transparentes serait le terme le plus exact , dans notre monde occidental, l’automatisation s’opère au travers des processus d’intelligence artificiel omniprésents. (opérations banquaires, systèmes de 
surveillances etc…)


"Cent fleurs épanouies" @ Delphine Resit , courtesy FRI_ART
 Dans certaines de ses pièces, elle en souligne le paradoxe, ainsi avec « Cent fleurs épanouies », référence à la révolution culturelle sous Mao, à la délocalisation et à ce monde vidé de toute substance qu’elle réinjecte dans certaines de ses œuvres. Critique de la consommation aussi avec ces caddys vides, qui circulent seuls, d’une part l’image d’une production que nous ne contrôlons plus, d’autre part, renvoi à notre vacuité…
Il est à souligner aussi que la plupart des installations de Delphine Reist prennent place dans des lieux, comme des parkings, des chantiers, des friches industrielles…




"Chiens de fusil"@Dlephine Resit , courtesy Galerie Triple V



Laissons le mot de la fin à Delphine Reist dans son entretien avec Corinne Charpentier
« J’aime travailler en creux et laisser place au paradoxe, à l’antinomie, à l’équivoque. Les objets animés, en nombre, fonctionnent comme des communautés qui se seraient débarassées de l’humain ou qui le singerait et qui « travaillent et suent » ensemble. Ils ont l’air d’être organisés en système et avoir un objectif. Mais la voiture finira par s’arrêter de démarrer, la scie sauteuse pourrait couper son propre cordon. La population de fusils se vise elle-même. Les objets portent en eux la perspective de leur épuisement ».
Machines célibataires et absurdité de notre monde…

                                                                                                                     Valéry Poulet



Delphine Reist est visible à la galerie Triple V jusqu'au 21 Octobre 2012


Triple V
24 rue Louise Weiss
75013 Paris
+33 (0)1 45 84 08 36
Galerie ouverte du mardi
au samedi, de 11h à 19h.