30/12/2011

BOUROUISSA: LE THÊATRE DES OPERATIONS






@Mohamed Bourouissa

Photographie-document, photographie plasticienne, Mohamed Bourouissa avec sa série « Périphéries » flirte à lisière de ces deux pôles et met en question la place de l’individu social dans un monde saturé de médias où les images véhiculées par la banlieue, renvoient le plus souvent à un monde négatif.

Lors d’une résidence à Toulouse, Mohammed Bourouissa, jeune photographe d’une trentaine d’année, s’immerge dans le quartier de Toulouse-Mirail, complétée par des travaux ultérieurs réalisés en banlieue parisienne. Il en résulte une superbe série photographique intitulée « Périphéries »

Cette série a donc pour thématique la banlieue, sujet cher à Bourouissa qui en explore la géographie humaine et physique depuis ses premiers travaux.
De prime abord, rien ne parait vraiment nouveau. La démarche pourrait être similaire au travail classique d’un photoreporter. Mais à l’encontre de ceux-ci, les travaux de Bourouissa s’inscrivent dans une démarche fondamentalement différente. Il revendique ses photographies comme des propositions artistiques.

« Mon travail met en scène la banlieue en tant qu’objet conceptuel, artistique dans des situations qui d’ordinaire seraient du ressort du photojournalisme »

Il s’attache à un thème récurrent de l’image des banlieues dans les médias ; la violence et les rapports de pouvoir mais Bourouissa déconstruit les clichés habituels sur la question.

« …En démontant les clichés de ce sujet, je traite de la problèmatique du rapport de force et pose la question de la mécanique du pouvoir »

Là où un photo-reporter traite cette thématique par des moments pris sur le vif, par des instantanés. Bourouissa lui choisit de mettre en scène dans le sens littéral du terme ses photographies. En cela, il s’inscrit dans la lignée de Jeff Wall, notamment « Dead troops ».








qui reconstitue et fictionne tel un film de guerre des soldats de l’armée rouge victimes d’une embuscade en Afghanistan, ou aussi à Eric Baudelaire et son dyptique « The Dreadful details » qui fit scandale lors de son exposition au public. En effet, cette photo, simulant une scène en Irak, fut prise dans les décors d’une série américaine. Jeu entre réel et fiction.



Eric Baudelaire « The Dreadfull details »


Bourouissa reconstitue, réagence, recrée.
Ceci implique que les protagonistes des photographies de Bourouissa passent du statut de sujets à celui d’acteurs, de comédiens, vont jusqu’à agir dans la conception même de la photographie. Bourrouissa, avant d’entamer ses travaux photographiques, tisse des liens, institue des rapports de confiances avec les gens qu’il photographiera plus. En tout cela, il s’oppose à la conception de « l’instant magique » illustrée par Henri Cartier-Bresson.

Dans ses mises en scènes, Bourouissa ne montre pas l’événement mais recrée les conditions préalables à celui-ci, (référence indirecte à Jeff Wall qui lui situe « Dead troops » après l’événement ?)
Regards, gestes jouent ou rejouent l’instant où tout peut basculer, une échauffourée, une bagarre, une émeute… Où le regard prend toute son importance. Cette tension crée la force de ses photos. 




                                                                 @mohamed Bourouissa


Le travail d’élaboration, de mise en scène, presque gênante de par son aspect artificiel et provoquée par le photographe, s’apparente à une approche quasi- cinématographique. (travail d’acteurs, espace, regards, ) dont il utilise le langage, comme par exemple, le principe du champ/contre-champ. Il y a souvent confrontation des regards entre les protagonistes des photographies de bourouissa. Regards pesants de menace, provocateurs, à la limite de l’affrontement, le photographe attache une grande importance à ces rapports de vis-à-vis, pousse la tension à son paroxysme, et joue sur le nôtre. Qui n’a pas, un jour, baissé instinctivement les yeux devant un groupe de jeunes banlieusards, a refusé la confrontation du regard, souvent par peur, par défiance ?






                                                                                            @mohamed Bourouissa

Jeux des regards, donc. Un jeune, de dos, fait face à un autre, au visage à l’attitude menaçante. Derrière ce jeune, un troisième photographie ou filme la scène avec son portable. (Référence aux portables qu’utilisent les jeunes pour se filmer mais aussi filmer les exactions policières ? Portables qui servent de contre-points à la vision dominante livrée par les médias). Les portables annoncent la mort aussi du photoreportage classique confiée à des professionnels, un nouveau régime de visibilité, de préhension du réel s’instaure. L’usage du portable n’est pas neuf dans le travail de Bourouissa, ainsi dans la vidéo « Temps mort », le portable sert de lien avec l’extérieur pour un jeune homme incarcéré.
Jeu sur l’immédiatetée, l’instantané du portable qui saisit ce visage que nous ne voyons pas, nous met en position de voyeur aveugle. Nous ne verrons pas le contre-champ, ni l’image filmée ou photographiée et nous laissera dans la frustration.

Mais aussi travail qui se référencie à l’histoire de l’art, Bourouissa n’hésite à citer des œuvres du passé comme « République ».



                                                           « République »@Mohamed Bourouissa


Référence directe au tableau de Delacroix « La liberté guidant le peuple » ou encore à Piero della Francesca dans la photo « La morsure ».



                                          « La liberté guidant le peuple" Delacroix 


Bien qu’il ne revendique pas un travail politique ou social, Bourouissa inscrit son travail dans une dénonciation du traitement médiatique des banlieues.
La photographie intitulée « Reflet », plus installation que photo d’ailleurs, résume assez bien, par sa puissance, le regard infligé aux banlieues ; un jeune, de dos, dont le code vestimentaire et le paysage, l'identifie à un jeune de banlieue, est face à un amas de postes télévisés qui, selon toute vraisemblance,ne fonctionnent plus.
A l’arrière-plan, donc, les bâtiments anonymes d’une banlieue (on peut imaginer les champs de paraboles qui ont un moment alimentées ces postes télé)
Dans l’un de ces postes, le reflet du jeune (encore ici un travail de champ/contre-champ). Il ne voit de lui que ce reflet qui lui est renvoyé par l’écran de la télé, tas de carcasses amoncelées. Nous ne voyons pas son image, nous ne voyons que ce reflet.


« Le reflet »@Mohamed Bourouissa


Nous sommes encore renvoyés ici à notre position de voyeur, nous sommes renvoyés à notre position de téléspectateur passif à l’instar de ce jeune à l’on renvoie pour seule image de lui. Image qu’il ne contrôle pas, qui lui colle à la peau qu’il finit par considérer comme la réalité par capillarité.

Texte inspiré d’une exposition de Mohammed Bourouissa
à la Galerie  « Les Filles du Calvaire » 17, rue des Filles du Calvaire, Paris, France.