20/06/2012

LA PEINTURE, INEPUISABLE MEDIUM !



Noami Watts @ Marcel Berlanger




Si vous passez par le Voyage à Nantes, qui dure du 15 juin au 19 aout, vous y verrez une multitude d’expositions dont celle superbe de Roman Signer à la Hab Galerie. Mais il est un lieu indispensable à visiter c’est MilleFeuilles, tout récent atelier d’artistes qui inaugure le lieu par le biais d’un curating mené par le critique d’art Tristan Trémeau. Celui-ci nous propose une ré interrogation de la peinture et ses potentialités.














La peinture, part maudite de l’art contemporain, aurait-elle été enterrée trop vite ? Has been, dépassée, médium sur lequel tout a été fait, tout a été dit, dont la queue de comète furent les tentatives commerciales du néo-expressionisme avec Immendorf, ou Salomé ou encore la Transavangarde italienne avec Enzo Cucchi, Mimmo Paladino, je parle même pas de la figuration libre… Une peinture qui s’est vidée de sa substance, de sa recherche. Par un retour à la figuration bien plus créée pour le marché que pour sa valeur intrinsèque. Quelques météorites restent !  Des monstres sacrés comme Sigmar Polke . Du champ du cygne de la peinture, donc ? Il n’en n’est rien !


"coopérationsVII et VI"@MiquelMont
L’exposition " En un lieu incertain" est là pour le prouver et nous montre une génération de jeunes peintres qui révèlent des potentialités nouvelles et réinterrogent le médium par le biais de relectures diverses qui passent de l’expressionisme abstrait à la peinture minimaliste en passant par support/surface et se positionnant après le post-modernisme.


"sans titre " de Nicolas Chatelain



Le premier intérêt de ces directions multiples sont qu’elles se répondent, ne sont pas en oppositions mais complémentaires et se renvoient l’une à l’autre et réinterrogent aussi, l’espace, la distance, le point focal, la perspective, la bidimentionalité du plan. Elle s’attaque au volume donc à l’exemple d’un Nicolas Châtelain, qui joue et rejoue de ses peintures, les triture mais à la façon d’un Donald Judd,devenue" Junk painting" où le minimalisme provient de l’objet trouvé et nous livre un travail enfantin dans le sens noble du terme.


"sans titre" @ Nocolas Chatelain


Il joue de l’infra mince, de la forme, qui déborde le cadre, un travail proche de celui de Dezeuze, où le cadre n’est plus plan mais extensions, arêtes, qui se regardent sur diffèrent axes. Cette désarticulation du plan, mais aussi de la destruction de la frontalité, s’effectue avec une économie de moyens, matériaux pauvres, de récupérations. Jeu de lego, de Rubyk's cubes bancals, chaque œuvre en devient par ses formes non figées, de mini-histoires visuelles avec une ludique simplicité. 


"ballots" Edouard Prulhière


A ces œuvres de Nicolas Châtelain répondent les grands volumes de Edouard Prulhière, elles ne s’opposent pas, elles se complètent, chacune d’elles jouent sur le débordement du cadre, du plan, de la perspective. Edouard Prulhière vient subtilement se dresser entre la peinture et la sculpture, une pièce intitulée « Ballots » faite de toiles compressées accrochées et suspendues comme des grappes, semblent devenir une expansion de l’infra mince de Châtelain, les similitudes sont proches, elles réinterrogent le regard. Ces toiles emballées, puis empaquetées par des sangles qui la ligotent , la malmène agissent aussi contre la planéité, elles deviennent plis, creux, arêtes… Il y a du Pollock, du all-over chez Prulhière, les ballots tournés, retournés, provoquent des effets de coulure, la peinture devient matière venant se nicher par épaisseur dans les plis de la toile. Mais ici, le all-over se referme sur lui –même, cette pièce vient renforcer un sentiment de frustration, celui de pouvoir déballer et de déployer ses toiles…  D’ailleurs Edouard Prulhière s’en amuse, présentant une pièce intitulée « LPI », ou il joue là sur le déploiement, le All-Over et vient créer un point focal, jouer sur un effet de profondeur, nous engage dans une frontalité, et joue de l’ambiguiîé sérigraphie ou peinture à l’instar d’une autre pièce  qui, elle est une sérigraphie ! Ironique hommage à Andy Warhol que l'on connait peu comme peintre!


"flying stones"@ Marcel Berlanger
« LPI », vient dialoguer avec une œuvre « Flying stones » d’un peintre belge Marcel Berlanger, hélas inconnu en France, qui joue lui aussi de l’illusion, du trompe-l’œil, de la notion de distance et d’éloignement, son travail sur la frontalité, vient selon notre éloignement nous interroger sérigraphie ou peinture ? A mesure que le regard s’approche, le regardeur s’aperçoit qu’il a à faire à de la peinture ! Qu’il s’est fait dupé ! Cette duperie est juste une affaire de matièrage, lui aussi vient titiller Warhol mais aussi la mode du néon par une pièce intitulée « Naomie Watts »


"LIP" @Edouard Prulhière


Parlons enfin du travail de Miquel Mont, peintre espagnol, dont le travail, plus géométrisé, grandes pièces verticales, fleurte avec le minimalisme, son travail fait de rigueur géométrique n’est pas en opposition avec celui de Prulhière ou de Chatelain. Il vient par sa rigueur, nous donner une leçon sur ce qu’est un plan, une profondeur, une transparence, il laisse à escient des espaces vides qui transforme le chassis ou les chassis comme pièces intégrantes de l’œuvre, qui en démontent la mécanique tel un squelette. Il compose, avec une grande finesse, des relations entre couleurs et matières, effets d’opacités dues aux matières, plexiglas colorés accolés à des tulles légers de même couleurs. Dans ses proximités avec les plexiglas colorés de Bustamante, Miquel Mont nous rappelle que la matière peut changer bien des choses…




"orange correct"@ Miquel Mont

 Le premier jour de l’exposition fut ponctué par une performance sonore du guitariste Olivier Aude, englobant l’espace de vagues sonores mélodiques ou bruitistes et qui nous renvoie les liens tissés par Klee ou encore Kandinsky avec la musique.

"En Un Lieu Incertain" vient nous rappeler que la peinture n’est pas morte, qu’elle est loin d’avoir user de ses potentialités et ne se résume pas à des artistes comme Desgranchamp, pour ne citer que lui. et à un retour en arrière figuratif qui abandonne, l’essai, l’expérience, la recherche… 


                                                                                                                       Par Valéry Poulet




07/06/2012

MEHDI-GEORGES LAHLOU : DE VOILES EN VOILES


Créature pour Chaman II, 2012, courtesy Mehdi-Georges Lahlou & Galerie Dix9



Qui est cet homme, Mehdi -Georges Lahlou, un avatar, une présence fantôme insaisissable, une absence physique ? Car de reproductions en reproductions de lui-même, il finit par s’évaporer… Double, triple, quadruple, multiforme, il joue de son corps comme d’une fantomatique présence. On le croit ici, il est déjà ailleurs…. Il disparait dans la noirceur d’un voile


Bruxellois, marocain, français, espagnol, Lahlou est de partout et nulle part…. Les lieux lui appartiennent comme lui, ne se revendique d’aucun lieu ! D’aucun territoire où alors il les embrase tous, tantôt derviche tourneur, dont les mains, dans sa danse cyclique indique la terre et le ciel. Cette incertitude perturbe nos propos. Lahlou est un « madjoub », c’est-à-dire un illuminé de dieu, un renonçant , une Lala Aïcha, cette beauté qui hante les lieux glauques, les tréfonds redoutables, séductrice aux pieds de chèvre. Entre terre et ciel ! Genet fut considéré comme « madjoub » après sa mort. Car la mort n’est jamais loin, derrière les plaisanteries de potache dont Lahlou use avec délectation.


                                            
Equilibre à la pastèque, 2012 courtesy Mehdi-Georges Lahlou & Galerie Dix9


Le blanc de la mort encercle-t-il la vie où la vie se déshabille de la mort ? L’a rend caduque ? Car la vie est un trop-plein de la mort, comme le titre du film « s’en fout la mort » de Claire Denis, et la mort s’en repart, ridicule, penaude, ne pouvant qu’attendre son temps. Ainsi, les derviches, le bras vers le ciel, les liens célestes avec un dieu dont on ne peut citer le nom, et la terre, de la glaise dont nous sommes issus parait-il, maintiennent le lien entre cette glaise qui nous porte et le ciel où dieu prendrait place.


Salât ou autoportrait dirigé, 2011/2012, courtesy Mehdi-Georges Lahlou & Galerie Dix9




Emerge ainsi de cette glaise biblique, de ce le lait maternel, cette mort blanche qui porte sur elle une pastèque, fruit symbole d’abondance dans tout le bassin méditerranéen. Que la pastèque tombe et le sol devient rouge sang, comme le sang christique. Et tout ne devient que vanité… Lahlou ne serait-il pas un soufi moderne, de notre temps, ne portant que son étole de laine, afin de pointer nos incohérences, tel Diogène. Mehdi'Georges Lahlou pourrait dire à dieu, avec un sourire charmeur "Otes-toi de mon soleil!"


  
Le travail de Lahlou est une épreuve de cache-cache avec nous-même, notre culture, il absorbe nos propres personnes dans notre propre miroir, ce qui n’est pas l’une des moindres difficultés. Ses dons de prestigitateur, de magicien qui sort un lapin de son chapeau, un vrai lapin ou encore l’illusion d’un lapin ?



Stupidité contrôlée ou Autoportrait à la Pomme de terre, 2011/2012, courtesy Mehdi-Georges Lahlou & Galerie Dix9
                                            

Talents d’équilibriste aussi, cet artiste ne cesse avec une audace effrontée se frotter aux roueries du monde, de ses hypocrisies, point est la peine de s’étendre sur ce sujet, l’image du métèque suffit à elle seule. Dans la mondialisation, étrangement, les échanges les étaux se resserrent dans le chacun pour soi, qu’un exemple ; l’Europe ! Plutôt que fédérer, elle s’est essaimée en nombres de petits états. Un malsain "chacun chez soi" sourd. Et l’une des grandes forces plastiques de Mehdi-Georges Lahlou, en deçà des pitreries, est de convoquer ses propres richesses culturelles, de reprendre à zéro, d’en créer un langage, de l’ utiliser comme outil en le détournant… Faire vivre, cohabiter, mieux ressusciter…                                                          
Mehdi-Georges Lahlou, possède cette insolente aisance de traverser, bondissant tel un cabri, un champ de mines, sourire narquois aux lèvres, pour se défier de la mort par une pirouette jamais innocente.

Où était-il d’abord ? Une exposition où personne ne l’a vu ! Dans une performance, au coin d'un mur, un don d'ubiquité qui ranime notre merveilleux....


                                                                                                                              Valéry Poulet








QUELQU'UN M'A DIT QUE LE MERVEILLEUX ETAIT REVOLU...
 Galerie Dix9
19 rue des Filles du Calvaire 75003 Paris

exposition du 10 mai au 23 juin 2012
vernissage jeudi 10 mai à partir de 18h
performance de l'artiste à 18h30