07/12/2012

LES PHARES DE MNEMOSYNE




                                                                                                                                                                      
                                                                                       
   « Quand résonne le silence »…  Cet oxymore,  titre de la dernière exposition, du peintre     Nicolas Delprat, révèle un monde où l’angoisse et le doute prennent le pas sur les certitudes. 

Ce titre fait pendant à un  oxymore célèbre de la littérature classique, cette fameuse « obscure clarté qui tombe des étoiles », tirade du Cid de Corneille qui renvoie, certes au jeu de la lumière et de l’obscurité, part importante     du travail de Nicolas Delprat, mais aussi ouvre un univers narratif et fictionnel  où s’écrit en palimpseste nos angoisses contemporaines…                                                

Cette obscure clarté, ce silence qui résonne, nous entraîne vers des routes inconnues… Que garderons-nous en mémoire à mesure que nous avançons ?    











Ce qui est frappant, avant tout autre chose, dans les toiles de Nicolas Delprat, c’est l’usage de la lumière. Une relation étroite s’institue avec elle. Celle-ci est omniprésente et de formes diverses, halos, éclairages, réflexions,   fenêtres, ombres portées, ambiances. La seconde chose, aussi, une forte proximité avec un écran de cinéma qui est aussi un réceptacle de lumière…

« En travaillant avec la lumière, le plus important pour moi est de créer l’expérience d’une pensée sans mots, de faire quelque chose de réellement tactile à partir de la qualité et de la sensation de la lumière. Celle-ci a une qualité intangible pourtant on la sent physiquement. Souvent, les gens tendent la main pour la toucher. Mon travail est fait de lumière ; il est centré sur la lumière en ce sens que la lumière est présente, qu’elle est là. On ne peut pas dire qu’il est question de lumière dans mon travail, ni qu’il s’agit d’en raconter l’histoire, c’est de la lumière. La lumière n’est pas quelque chose qui sert à révéler, c’est la révélation même »
                                                                          James Turrel « Mapping spaces, New-York, Peter Blum, 1987

L’on peut dire que la lumière est une condition nécessaire à la perception des créations artistiques qui s’adressent au sens visuel, que ce soit les arts du spectacle, la photographie, le cinéma et bien sûr les arts plastiques. La question de la lumière constitue en soi une part prépondérante des interrogations et des recherches de l’histoire de la peinture ;  songeons au Caravage, à Rembrandt ou Georges De La Tour, aux Impressionistes… Nicolas Delprat s’inscrit dans la continuité de cette interrogation.
Bien que figuratif, le travail pictural de Nicolas Delprat trace son sillon dans les pas des Minimalistes, notamment ceux de Dan Flavin et James Turrel. D’ailleurs, il n’hésite pas à s’en inspirer ou à les reprendre  comme dans « Dan Flavin, acrylique sur toile, 2006 » . La lumière, en effet, revêt une importance primordiale dans ses tableaux, les rapports entretenus avec celle-ci sont omniprésents.
 Chez Nicolas Delprat, ce travail consiste à  matérialiser les résonnances de la lumière. Il ne tente jamais de masquer les sources lumineuses, au contraire, celle-çi sont bien décelable, présente dans la constitution de l’image. Ces sources, néons, halos, projections, mais aussi lumières du ciel, brouillards, brumes nous plongent dans une atmosphère ouateuse, incertaine, aux contours souvent peu définis. Il en saisit les phénomènes vibratoires, l’instabilité.

"Zone 26", courtesy@galerie Odile Ouizeman


Turrel parle de la lumière comme « la révélation même ». Nicolas Delprat poursuit cette voie ; la lumière chez lui devient effectivement révélation mais acquiert un statut autre. Elle est le moyen par lequel les souvenirs refont surface, émergent de notre inconscient.
« Nicolas Delprat privilégie surtout une logique de représentation qui a pour objectif de soumettre ses sources lumineuses à un traitement mnémonique et pictural. En effet, la plupart de ses peintures parlent des souvenirs de lumières. »
Erik Verhagen in catalogue de l’exposition « Mehr Licht », Espace Vallès, Saint Martin d’Hyères, 2008

Avec « Quand résonne le silence »,  Nicolas Delprat se  distancie du Minimalisme et pousse plus loin  son exploration des potentialités cinématographiques… Pousse plus loin aussi cette impression de souvenirs lumineux….
Plusieurs peintres furent influencés par le cinéma ou prirent en charge les potentialités de ce médium dans leur travaux picturaux à l’exemple de Francis Bacon qui concentra les gros plans d’Einseinstein dans le portrait du pape Pie, de Warhol ou encore avec la Nouvelle figuration, Monory, chassant ses sujets dans la thématique du film noir. Nicolas Delprat, lui, s’aventure sur les terres du film d’anticipation.
Ses œuvres sont donc, elles aussi, habitées de références cinématographiques, où l’on pourrait citer, Kubrick, Verhoeven, Lynch, Tarkovsky, Spielberg mais Nicolas Delprat en explore encore une autre dimension.
L’image cinématographique, comme on le sait, exprime un mouvement, mais celui est fait d’images fixes, des photogrammes ; Le défilement des images provoque chez le spectateur un effet de rémanescence, il lui fait en quelque sorte combler les images manquantes, c’est la part illusionniste du cinéma. D’autre part, la mémoire auditives, visuelle est mise en branle dans ce même processus afin de rétablir une continuité visuelle mais aussi narrative car l’image qui défile est un flux : la rémanescence des images précédentes nous permet donc d’assurer une continuité. Notre mémoire compense en cela la perte physique des informations. Que fait Nicolas Delprat ? Il rejoue à sa manière, ce phénomène, avec un autre médium et il le décale dans le temps. L’expérience proposée est un quelque sorte un visionnage en différé avec des arrêts sur images. Que nous reste-t-il d’un film, d’une image, d’un souvenir nous revenons toujours à cette problématique de la mémoire.

"Perspective 2", courtesy @  Galerie Odile Ouiseman


L’utilisation de ces références fait appel à la mémoire et par le même processus que pour les citations de Dan Flavin ou de James Turrel, Nicolas Delprat fait immerger de ses tableaux des images que l’on a cru voir mais qui n’existent pas réellement dans les films référents. Là encore, il joue de notre déficience, de notre part fantasmatique à créer ou à recréer des images à partir de ce que l’on a cru voir, des images, qui, nous le sommes intimement persuadés, appartiennent au film. Mais il n’en est rien. Nicolas Delprat joue donc sur ce premier registre, d’autre part, il réussit à synthétiser dans ses tableaux une ambiance ou des ambiances qui mêlent un ou plusieurs films. Pourrait-on parler de construction d’images archétypales ou de stéréotypes d’images chez Nicolas Delprat ?
Une autre constatation importante : l’absence humaine. Nicolas Delprat, dans les tableaux qu’il nous présente, annihile la présence humaine, du moins en apparence. les cadres où s’inscrivent reflets, ombres de fenêtres, lueurs sont inhabités mais Nicolas Delprat nous suggère la présence humaine en creux. En effet, à l’observation, les paysages déserts recèlent d’une présence invisible, fantomatique sous formes de traces : grillages, fenêtres, maisons….


"Perspective 3", courtesy @ Odile Ouiseman


Mais le plus intéressant est que Nicolas Delprat nous induit dans son dispositif, il reprend à son compte le principe d’identification, certes ici l’on rétorquera qu’il n’y a personne à qui s’identifier mais pourtant il nous met en situation de protagoniste par un effet de caméra subjective. Cette inscription dans le cinéma se fait aussi par des effets de travellings comme dans  Ses tableaux sont construits avec l’échelle humaine comme référent. De fait, nous nous retrouvons, en quelque sorte, dans une position d’acteur avec toutes ses implications et ses conséquences. Ce travail de mise en scène, ce dispositif qui implique notre participation, bien au-delà du seul regard, nous agrège dans un monde instable et plein d’anxiété En effet, ces paysages  vides, troublés, incertains sont de natures instables. Monde vibratoire, précaire et éphémère des nuages, des brouillards…
Les principales sources dans lesquelles puise Nicolas Delprat, sont la science-fiction et l’anticipation. En effet, la plupart de ses références cinématographique « 2001, l’Odyssée de l’espace », « Solaris », « Total Recall », pour ne citer que celles-ci, appartiennent au genre de la SF. Il est à noter que la plupart des évocations (le terme parait plus approprié que citation) tirent elles-mêmes leurs sources de la littérature, là aussi s’instaure un jeu entre réinterprétation cinématographique et réinterprétation picturale.


courtesy@Odile Ouiseman


Le genre Science-fiction nous donne, a priori, à réfléchir sur le futur, mais bien souvent, ce discours anticipatif nous renvoie à notre présent et non à notre futur. Il se fait témoin de notre monde. « Farenheit 451 », discours anticipatif mais aussi regard sur les sociétés totalitaires, les exemples sont nombreux. Nicolas delprat investit cette dimension. Il nous donne à voir des  troubles, incertaines. le regard se trouve pris au piège, dans un dispositif formelle : ce jeu avec les perspectives dans la série éponymes où justement toutes les perspectives qui viennent traverser le ciel, sont faussées, cette étrange intrication de plans qui se fondent, dans la série « zones » où l’avant-plan se mêle à l’arrière-plan, où la trame du grillage semble ne pas trouver sa place, participe au trouble de notre vision. Ces grillages, évocation politique ? Frontières, enfermements, camps de rétentions, univers concentrationnaire, Le film d’Alain Resnais, « Nuit et brouillard » n’est pas loin… Mais les souvenirs se troublent une fois encore…


courtesy @ Odile Ouiseman


Les tableaux de Nicolas Delprat ne reflètent-ils pas cette intuition de l’ère du soupçon ? Un monde qui ne répond plus à nos questions ? Une métaphore de l’homme pris dans une post-modernité, un désenchantement où rien  ne vient plus suppléer à nos incertitudes, à nos défaillances ? Quelle alternative nous reste-t-il ? Prendre une route qui ne mène nulle part, se heurter aux grilles, aux obstacles, saisir l’insaisissable ? Les grands récits se sont tus et seul résonne le silence.


« Quand résonne le silence »
Nicolas Delprat
Du 8 novembre au 12 janvier 2012
Galerie Odile Ouizeman
10/12 rue des Coutures Saint-Gervais
75003 Paris
et aussi jusqu’au 9 décembre
« Errance » avec Rachel Labastie
Les Salaisons
25 Avenus du Président Wilson
93230 Romainville
www.salaisons.org