29/03/2011

NOBODY / NOI(s)ES

Dominique Petitgand, À la merci (At the mercy),
 extrait transcription, 1988/2011,
 courtesy gb agency, Paris.




















Ballons, ambiance de fête, voix d’hommes, de femmes, d’enfant... Dominique Petitgand nous lance une invite à  l’écoute et au-delà...

Quatre installations, minimales, disposées dans l’espace, constituées d’enceintes, certaines au sol, d’autres suspendues… Des moniteurs aussi… Au nombre de trois.
Quatre « pièces sonores » -appelation que Dominique Petitgand donne à ses travaux- sont diffusées dans chacune de ces installations.
Installations minimales dont pourtant la présence monacale investit la totalité de l’espace… Où ici, le moindre, le modeste prend une réelle ampleur plastique et sonore… 

Ces installations ouvrent de toute évidence sur un travail lié au déploiement des sources sonores, de leur répartition, de leur réception. Les dispositifs proposés, tiennent compte du lieu de diffusion, de sa configuration, de ses spécificités. Chacune de celles-ci dispose de sa propre spatialisation, de sa propre autonomie, de sa propre amplitude, mais aussi au-delà de leurs spécificités viennent créer un ensemble dans lequel elles se répondent…
Elles ouvrent aussi sur le « comment » de la perception, stimulant l’interaction physique et psychique…


Dominique Petitgand, vue d'exposition, gb agency, Paris, 2011
crédit photo : Marc Domage




Investir un champ plus large que la matière sonore, créer l’espace, venir jouer de notre imaginaire, ces petites installations, ces « petites pièces » engendrent évidemment ce que l’on pourrait communément appeler des paysages sonores, mais accordent une attention particulière à l’écoute… Il ne s’agit pas seulement de se laisser entrainer dans un univers : la voix, par le support des mots, est le matériel principal et sollicite de notre part une plus grande attention que le simple fait de « voyager » dans le son… L’écoute d’une voix induit aussi ce processus : tenter de trouver une incarnation à cette voix. Cette incarnation vient peser par son absence, impalpable et pourtant si proche, dans cette présence des voix…

Dominique Petitgand, vue d'exposition, gb agency, Paris, 2011
crédit photo : Marc Domage


La disposition des enceintes sépare, entraine une recomposition de l’espace physique de la galerie et donc de notre propre positionnement dans celui-ci. Cette distribution de la matière sonore vient reconfigurer cet espace en des jeux de réponses, de hors-champs, de points de vues, le tout selon notre circulation dans la pièce.
Par exemple, « je m’en vais », installation sonore de cinq hauts-parleurs, joue de ces propriétés du langage cinématographique. La voix d’une jeune femme nous fait part de son envie de quitter une soirée, un repas… Cette voix est isolé et en opposition physique et sonore aux quatre autres haut-parleurs qui eux diffusent les rumeurs de la soirée… « Je m’en vais » recrée un univers totalement fictionnel, où l’imaginaire vient se substituer aux images.


Dominique Petitgand, vue d'exposition, gb agency, Paris, 2011
crédit photo : Marc Domage


Notre point de vue varie donc alors selon notre position physique dans l’espace. Du côté de la femme, en Off la fête, et évidemment du côté de la fête… Ce point de vue est renforcé par l’intégration dans une séparation physique créé par une colonne préexistante dans l’espace d’exposition, où là se concrétise cette grande attention donnée par Petitgand aux lieux, aux espaces…

Les installations de Dominique Petitgand se font aussi ludiques de prime abord ; comme « A la merci », inversion des rôles où l’adulte devient élève, : un jeune enfant fait reprendre des mots, à un adulte qui peine à les répéter, le ton de l'enfant se faisant, parfois, agacé face aux difficultés élocutoires de l’homme. Inversion de l’apprentissage d’une langue… jeu sur la répétition des mots, travail sur la tessiture.


Dominique Petitgand, vue d'exposition, gb agency, Paris, 2011
crédit photo : Marc Domage

Cet effet de redoublement, de jeu d’intonations, instaure aussi un subtil jeu entre le signe et le son, jeu d’autant plus troublant que les mots prononcés s’inscrivent comme des sous-titres, en anglais, sur un moniteur. Ces sous-titres viennent perturber notre réception, comme mentalement relire et prononcer les mots en anglais, « A la merci » tout d’abord ludique, inoffensif, puis peu à peu, perturbant, nous engagent à une réflexion sur les mécanismes du langage et de son appréhension…

Cette dernière installation aussi, où l’on entend des ballons, rebonds, frottements jeu de ping pong entre les quatre murs de la pièce, cour de récréation, renvoi ludique là encore à cet enfant d' « A la merci », mais aussi redoublement des sons... Ce ballon devient insaisissable, inlocalisable, d’où surgira-t’il ? Quel point de vue adopter?
Et nous voici pris un peu comme dans la balle au prisonnier…

Et, détail qui a son importance si vous écoutez bien, du côté de la rue, d’autres bruits d’enfants, de ballons viendront se mêler à de Dominique Petitgand, un hasard ? Pas si sûr…


Dominique Petitgand
« Solo show »
Du 17 mars au 30 avril 2011
gb agency
18 rue des 4 Fils F-75003 Paris
T  +33 (0)1 44 78 00 60
gb@gbagency.fr
http://www.gbagency.fr/

22/03/2011

Sur les berges...











Les courts-métrages de Fred l’épée prennent la forme de poèmes visuels, ou de films poémes, qu’importe… où la voix s’unit à l’image en d’intemporelles élégies…

Des mondes désertés, des mondes en bord de mer… Des personnages en errance, des lieux indéfinis, suspendus au bord d’un gouffre imperceptible, invisible, aux lisières des sensations mentales et physiques… Transports, passages, impermanences…
Les films de Fred L’épée ne relèvent ni de la fiction classique, non plus de l’expérimental ou d’autre chose encore… Il y a comme un « je ne sais quoi » d’insaisissable, qui ruine toute classification et vient abolir les démarcations classiques…  
Si il fallait lâcher des noms, viendraient, sur un mode subjectif, Bela Tarr, Sharunas Bartas… Ou encore le Derek Jarman d’ »Angelic conversations »…

Mais pourquoi parler de cinéma, pourquoi encore parler de cinéma, de film, de fiction, de narrations, d’histoires… Peut-être faut-il alors parler plutôt parler d’une tentative de forme, forme entendue en tant qu’Eidos platonicien  s’opposant à Eidolon, l’icone, le simulacre… Comme le réalisateur l’évoque avec « The Passenger », le « cinéma » de Fred L’Epée s’engage, se situe dans cet entre-deux, dans le rapport de cette lutte incessante entre la forme et son altération (l’eidolon)… Combat perdu d’avance dont témoignent les poèmes visuels de Fred L’Epée.

Dans « Scaramanga Land », pas de personnages, une errance filmique sur des docks, des quais, un chien, seul et première apparition vivante, reste là et pousse un maigre aboiement.
De l’humain donc, peu de traces, celui-ci vient hanter en creux chaque plan de sa présence, celle de ses activités, activité portuaire, activité de transit, de marchandises que l’on devine circuler, portées, chargées, déchargées, convoyées…


Les ports, là où l’on s’échoue, là où les espoirs prennent corps, se désagrègent aussi… Certains partent, reviennent parfois, comme les marins, d’autres restent, soit par ce désir, soit par obligations… Soit par… Nous ne le savons plus… Qui n’a jamais eu un jour ce sentiment mêlé d’envie, de rêve, de mélancolie, voyant des bateaux aux pavillons inconnus, partir, de tenter de deviner leurs destinations, de prononcer leurs noms à voix basse… Parfois certains restent… D’autres ne reviennent plus… Tragiques rappels à nos rêves éveillés…
Seules les marchandises transitent, comme nos vies.
Des bateaux, carcasses échouées ; métaphore de rêves déchus, qui restent là, plantés, à moisir, à rouiller… ou alors emportées vers un lointain enchanteur ou plus décevant encore. Les grues deviennent comme ces Parques qui filent, tranchent et abandonnent… Comme un poème interrompu… Qui se reprend, qui parfois bégaie…

«En réalité, je souscris bien à la fidélité, à l'être, telle que le vide le nomme/ Je souscris également à la nécessaire interruption du poème » in Scaramanga

Ces grues, mécaniques industrielles appartiennent déjà à un monde révolu : le monde du jeu, le monde de l’enfance, des rêves, de l’évasion..
Fred L’Epée nous donne à voir un monde où les illusions, les désirs qui y prennent naissances sont encore vifs, mais ce monde nous échappe par son âpreté cruelle et souvent nous désole.  Un sentiment de duperie fait alors souvent place à l’espoir…
Ces grues, ces bateaux de notre enfance, ce port symbolisent dans leurs matérialités la finitude d’un monde et fait place à la mort des illusions, à la croyance d’un monde idyllique, où ces bateaux, ces grues, ce port n’étaient que des jouets inoffensifs, mais ne sont que les instruments d’un trafic, où cette enfance et ses rêves n’ont que bien peu de place… Et là revenons au réel, l’Eidolon domine, Eidolon, comme marchandise, objet trivial, objet de convoitise et de mort…


Malgré les extérieurs qui dominent, une sensation de huis-clos domine dans « Scaramanga Land » et « The Passengers ». La prédominance de la voix Off restreint l’espace, joue du repli. Les territoires s’effacent comme des palimpsestes, ou plus,  deviennent le réceptacle de l’intime, l'usage du noir et blanc participe de cette sensation. Le décor devient l’écrin scopique, l’espace mental, d’un flux de conscience, d’une intériorité, marquée par cette voix. Cette intériorité ne fixe pas l’intime, elle se fait pensée, réflexion, dérive…
La répétition de plans jouent comme l’éternel retour de boucles inachevées… Les mouvements se font lents, comme une nécessité à toujours revenir au début de chaque chose, de dérouler le fil de la pensée une fois encore… Comme une nécessité à ne rien perdre de chaque chose, de chaque regard…

« Scaramanga Land » devient l’utopie de nulle part, l’utopie de tous ces ports de la planète, où souvent l’escale persiste en de longues durées… Comme dans « Freedom » de Sharunas Bartas, il ne suffit pas de partir… D’escales en escales, de fuites en fuites, ces bateaux maudits et rouillés ne cessent de nous rattraper…


 Oiseaux, silhouettes, fumées, ombres, évanescences insaississable, « The passengers », devient une errance  vouées à la recherche impossible d'une essence perdue, d'une essence qui n'a jamais existé peut-être... 

« The Passengers », encore cette histoire de forme, ressac insurmontable, qui rejette sur les berges où nous ne finissons jamais d’échouer. Et là encore cette utopie du port, face à une mer, ouverte mais pourtant infranchissable… Un passager pour nulle part face à ces Hespérides intouchables… aux pommes d’or, rêves d’enfance, rêves d’un monde meilleur… Fred l’Epée nous parle juste de paradis perdus…

Parfois certains s'échappent, on ne sait comment et il ne reste que ce chien, celui de "Scaramanga Land", compagnon fidèle, qui aboie au moindre bruit, à la moindre approche d’une présence déjà éteinte… Le chien de Diogène ? Le chien d’Ulysse ? Dans chaque port, un chien, certainement, doit attendre un hypothétique retour… Mais de qui…


"Scaramanga Land" http://vimeo.com/19046167
"The Passenger" http://vimeo.com/14088699



17/03/2011

Petit retour critique sur Claire Fontaine

Suite à un article « Confort moderne » sur l’exposition de Claire Fontaine, dont j’assume la rédaction, article plutôt favorable au travail plastique proposé et à la démarche de l'artiste, d’autres éléments sont venus à ma connaissance qui questionnent sur la démarche de Claire Fontaine ;notamment, l’appartenance de l'artiste au fonds de pension Artist Pension Trust, ce qui m’apparait a priori comme contradictoire avec leur positionnement politique.
 Il faut évidemment tenir compte aussi que le système et la culture anglo-saxonne est assez différente de la notre.

Je tenais à en tenir informé les lecteurs de Transversales. Voici quelques éléments de compréhensions, il serait intéressant d’avoir aussi le point de vue de Claire Fontaine sur la question, sur cette apparente ou réelle contradiction....




 Modèle du système Artist Pension Trust, publié sur le site du fonds de pension



Article de Claire Moulène paru dans les Inrocks concernant APT


Vrai système d'aide aux artistes ou énorme machine à profits aux mains de spéculateurs ? Le fonds de pension APT (Artist Pension Trust) crée la polémique dans le monde de l'art. 
Organigramme incompréhensible, implantation dans un paradis fiscal, objectifs-écrans et vrais profits, réseautage mondialisé, machine à spéculation... Bienvenue dans le monde de l'art post-Madoff, bienvenue dans APT !
Créé en 2004 à New York, Artist Pension Trust affiche des objectifs louables : face à la précarité économique de nombreux artistes et aux inquiétudes légitimes de ces derniers en matière de retraites, APT propose un retour sur investissement à long terme.
En clair : une mutualisation des revenus qui permet à l'ensemble de la communauté des artistes adhérents au fonds de pension de toucher un pourcentage sur les ventes.
Le principe est simple : chaque artiste recruté par les antennes régionales d'APT, situées entre autres à Berlin, Londres, Dubaï ou Mexico, s'engage sur une mise en dépôt de vingt oeuvres en vingt ans. A la vente des oeuvres, l'artiste producteur touche officiellement 40 % des bénéfices, le fonds de pension en récolte 28 % et la communauté des artistes les 32 % restants, répartis au prorata de l'investissement de chacun.
A l'heure actuelle, on compte 1 347 artistes internationaux inscrits, émergents ou confirmés, parmi lesquels Saâdane Afif, Dora Garcia, Gelitin, Liam Gillick, Douglas Gordon, Keren Cytter, Benoît Maire ou Loris Gréaud.
Selon Ali Cirgenski (art collection manager pour APT), "les ventes devraient commencer officiellement en 2011. D'ici là, les premiers travaux mis en dépôt au sein d'APT seront présentés et vendus lors de la foire de Miami qui commence ces jours-ci".
Voilà pour le pitch. Rien d'inquiétant a priori : le projet pourrait même passer pour philanthropique. "David Ross, l'ancien directeur du Whitney Museum et cofondateur d'APT, raconte volontiers comment une conversation avec les artistes John Baldessari et Kiki Smith l'a alerté : du jour au lendemain, ceux-là se sont retrouvés sans le sou", se souvient Aurélie Voltz, commissaire free lance associée à APT.
Le piège de la course aux investissements
Au-delà des fantasmes générés par les ventes colossales et la réputation sulfureuse de certains artistes, la réalité du milieu de l'art repose sur cette instabilité constante d'artistes pris au piège de la course aux investissements.
En France, on compte environ 150 000 artistes, dont 5 % seulement gagnent leur vie grâce à leur production. Invités à cotiser à la Maison des Artistespour bénéficier d'un régime d'assurance sociale, ils se retrouvent confrontés à une logique de classification qui n'a plus grand-chose à voir avec la diversité actuelle des profils.
Surtout, à l'heure où les retraites occupent le devant du débat politique, les artistes comptent parmi les laissés-pour-compte du régime par répartition. En ouvrant des perspectives en matière de mutualisation et de placements à long terme, APT a au moins le mérite de poser une question généralement passée sous silence.
Une société quasi secrète qui pourrait s'avérer dangereuse
Pour certains commentateurs, artistes ou institutionnels qui ont été approchés ou se sont simplement penchés sur le cas APT, cette société quasi secrète pourrait s'avérer bien plus dangereuse qu'il n'y paraît.
Comme dans les romans de l'écrivain français Antoine Bello, où une organisation internationale et clandestine falsifie la réalité, APT serait une sorte de super monopole qui travaillerait à sa propre légitimation.
"J'ai cru au départ qu'il s'agissait d'une fiction créée par un artiste pour critiquer ce type de mécanismes à la Madoff", note ainsi un internaute sur le forum d'APT. Quand j'ai compris que ce n'était pas le cas, c'est devenu une sorte de cauchemar."
Pour le collectif d'artistes Société réaliste - qui a refusé les avances du fonds de Dubaï après avoir lu le contrat de dix-huit pages -, "le modèle d'APT est basé sur le même chantage et la même avanie idéologique que le modèle libéral : un modèle selon lequel il faut laisser prospérer Wall Street pour pouvoir manger sur Main Street. Si on veut nous faire croire qu'une multinationale comme APT est un fonds de pension coopérativiste et mutualiste, Bernard Madoff dans sa cellule sera ravi d'apprendre qu'il est un pur proudhonien et qu'il a fait des petits", commente avec ironie ce collectif qui a élaboré en 2006 une "institution fictive" baptisée Agence Ponzi, en hommage à l'inventeur des bulles spéculatives, Charles Ponzi.
Sous couvert d'un discours novateur et charitable, "une occasion unique pour les artistes émergents et en milieu de carrière", comme l'explique son actuelle directrice, Pamela Auchincloss, APT, c'est en effet avant tout le jackpot assuré pour ses dirigeants.
"La valeur actuelle des oeuvres est estimée à 56 millions de dollars", explique Pamela Auchincloss. En fait, compte tenu de la règle qui prévaut à la mise en dépôt des oeuvres, le calcul laisse présager des bénéfices bien plus importants.
L'arnaque ? Une part d'investissement quasi nulle
Sachant qu'APT regroupe aujourd'hui 1347 artistes dans huit fonds répartis dans le monde entier, que chacun met à disposition vingt oeuvres dont la valeur unitaire équivaut à 3 000 dollars, l'addition totale atteint déjà les 81 millions de dollars.
Sans parler de la plus-value inhérente au marché de l'art affichée puisque APT se réserve le droit de vendre "au meilleur moment, afin d'optimiser le retour potentiel sur investissement".
Pour Etienne Gatti, auteur d'un article paru l'année dernière dans la revueParticules, c'est là que réside l'arnaque APT, dont la part d'investissement est quasi nulle hormis les frais de stockage :
"Un collectionneur lambda qui souhaite spéculer sur l'art contemporain fait face à un problème incontournable : il doit acheter les oeuvres. Ce postulat limite le nombre d'artistes sur lesquels il peut spéculer. APT à l'inverse ne paie pas les oeuvres, optimisant ainsi la rentabilité de l'investissement, et fait porter la spéculation sur un très grand nombre d'artistes, ce qui statistiquement fait tendre le risque d'échec vers zéro."
Un coup de génie capitaliste
Sur les 1 347 artistes qu'APT comptabilise déjà, il est en effet plus que probable qu'un pourcentage important atteindra dans quelques années des prix records.
Au-delà de ce coup de génie capitaliste dont les plus fatalistes pourraient s'accommoder, estimant qu'il s'agit là d'un système poussé à l'extrême, d'autres éléments paraissent plus alarmants.
Il existe au coeur d’APT des dizaines de commissaires d’exposition, indépendants ou institutionnels, des rabatteurs qui touchent 150 dollars pour chaque contrat signé.
Certains, comme Eric Mangion, directeur de la Villa Arson, critiquent ce mélange des genres, rappelant "qu'il est dangereux de participer à la valorisation d’artistes avec des fonds publics tout en touchant des dividendes privées.”
Mais c’est surtout la manipulation orchestrée par APT pour légitimer son action qui semble choquante. En effet, les artistes embarqués dans l’aventure ont expliqué leur choix par la confiance qu’ils portaient à l’intermédiaire.
Même chose du côté des commissaires eux-mêmes, qui se sont laissés convaincre parce que certains de leurs confrères prestigieux (comme Hans-Ulrich Obrist qui, même s’il affirme aujourd’hui “ne plus prendre part aux activités d’APT”, figure toujours sur le site d’APT comme membre de l’advisory board) avaient ouvert la voie.
Florence Derieux, directrice du Frac Champagne-Ardenne, explique avoir“accepté d’y participer car, à ce moment-là, je connaissais la majorité des curateurs approchés qui ont suivi, comme moi, le programme curatorial de la fondation De Appel à Amsterdam”
Ce système pyramidal qui assure le succès colossal d’APT s’applique ainsi d’un bout à l’autre de la chaîne. Comme l’explique Aurélie Voltz, “nous passons ensuite la main à un comité de vente composé d’experts du marché de l’art”. Ce comité devrait prendre le relais en 2011 mais sa composition reste secrète : à ce jour, aucun nom n’a filtré.
Fiscalement et juridiquement localisé loin d'éventuelles poursuites
Autre anomalie du système, les commissions touchées à la source sur chacune des ventes. Estimées à 10 % par APT, elles entament le pourcentage de répartition des bénéfices (qui, rappelons-le, était au départ de 40 % pour l’artiste producteur et 32 % pour la communauté des artistes participants) officiellement affiché par le fonds de pension.
Enfin, hormis un siège à New York et des stocks implantés dans les huit zones géographiques contrôlées par les fonds régionaux, APT est fiscalement et juridiquement localisé aux îles Vierges britanniques – paradis off shore pour banques, fonds de pension et autres trusts –, ce qui le met à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires.
L’artiste libanais Walid Raad, qui mène une enquête approfondie sur ce système “d’une rare opacité”, pointe son organigramme :
“Parmi les membres fondateurs, on trouve Dan Galaï, un véritable gourou en matière de gestion des risques.”
D’ici quelques années, une fois atteint le chiffre de 250 artistes par succursale, APT fermera ses huit antennes. Avec ses 2 000 artistes et ses 40 000 oeuvres (pour un montant de 120 millions de dollars), il se retrouvera à la tête de la plus grosse collection d’art contemporain au monde. Un joli coup de filet pour une petite entreprise que son fondateur, David Ross, définit comme un “microrouage dans le vaste et complexe système du marché de l’art international”.
Claire Moulène



Lien de APT Global sur Claire Fontaine et leur souscription à celui-ci :

Je renvoie aussi à deux excellents articles de Tristan Trémeau, critique, historien d’art et commissaire d’exposition concernant, en autre, APT. 


Il me paraissait important de mettre ces éléments à votre disposition.

Valéry Poulet

11/03/2011

CONFORT MODERNE


France (burnt/unburnt)
courtesy@ Galerie Air de Paris


Foyer, mot qui recouvre plusieurs sens. Foyer comme partie que l’on aménage pour faire du feu, lieu d’habitation d’une famille, par extension, lieu où habitent une catégorie de personnes comme les foyers de travailleurs immigrés, mais aussi lieu de repos pendant un entracte pendant un théâtre. Le foyer rapproche, regroupe, en quelque sorte, protège. 

Mais le foyer est aussi par extension, assimilé, à un lieu d’insurrection, où une allumette peut mettre le feu très vite, prêt à prendre flamme, à s’étendre, l’exemple du Moyen-Orient tout récemment en est un. Les « fuocos » de Guevara en furent un autre, à l’époque. Les détournements, les Ready Made de Claire Fontaine qui nourrissent « No Family Life » mettent en crise cette notion de foyer.


L’appellation Claire Fontaine recouvre un collectif d’artistes.. Ils se considèrent comme des « singularités quelconques » et ceux-ci préfèrent d’ailleurs, le terme d’assistants, réfutant la notion d'auteurs. Cette volonté s’inscrit dans la position politique plus large Claire Fontaine annonce la couleur : la vie contre la dissolution mortifère exercée par le capitalisme.

Claire Fontaine n’est pas dupe des limites de l’exercice, ne se pose pas comme le détenant d’une vérité ultime,  ils ne font que relever, mettre à nu certains processus d'aliénation "No Family Life" participe de cette volonté.Considérant l’hypothèse communiste comme une solution, leur travail s'accompagne aussi de réflexions théoriques, sur leur statut, sur leur positionnement politique en tant qu'artistes. 
.


« No Family Life » de Claire Fontaine procède d’une économie fictionnelle, recréant un parcours dans la mise en espace des œuvres présentées et où chacune d’elle raconte sa propre histoire, histoire qui s’insère dans un processus plus global. Cette mise en espace réfléchit notre propre espace privé, notre propre foyer et dénonce l’illusion d’en être le propre maitre, de pouvoir le contrôler.


Untitled (Suspended Battering Ram)
courtesy@Galerie Air de Paris


Un cheminement à plusieurs ramifications, à entrées multiples donc, un cheminent semé d’embuches. Nous circulons autour de pièces évoquant le détournement des compteurs à gaz, la vie de famille, comme cette table à langer, mais le tout est placé sous une menace constante, comme ce bélier utilisé par la police qui vient obstruer l’espace, évoquant l’expulsion et l’impossibilité de trouver véritablement un refuge : un espace réellement privé, en dehors des incidences extérieure, cet espace n’existe plus.


No Family Life
courtesy@Galerie Air de Paris



Ce vêtement d’enfant abandonné sur une borne, est révélateur d’une présence/ absence, d’un anonymat.  Avec ce landau, transformé en cachette, placé de façon incongru dans l'espace d'exposition prend lieu finalement de métaphore de notre devenir : l’enfant qui devrait être dans le landau n’est finalement plus que marchandise…

Vêtement d’enfant, landau, un bélier, un rideau séparant deux pièces, autant d’irruptions, d’obstructions spatialisées par Claire Fontaine et ayant valeur d’avertissement : abandon, précarité, épée de Damoclès suspendue à nos vies où nul refuge n’est possible.
Plus ou pas de vie privée, nous ne nous appartenons plus, comme l’exprime cette pièce de Claire Fontaine déclinant à l’infini ces mots, « No Family, No Life, No Family Life », où comme l’exprime encore, le texte de présentation de l’exposition :

Car une vie à 7500 euro le mètre carré n’est pas une vie innocente, elle n’est pas une vie accessible, elle n’est pas une vie ouverte, libre, aventureuse et intéressante. C’est une vie privée.
                                                                                         Claire Fontaine

Les détournements effectués par Claire Fontaine pourraient s’envisager comme l’écho de nos propres détournements: ainsi ce compteur trafiqué, ou ce landau masquant un trafic. Claire Fontaine vient juste aussi surligner nos propres comportements de résistance, de système « D », de « gruge », afin de vivre, ou plutôt de survivre…


People who know the value of money (Black)
courtesy@Galerie Air de Paris
                    

Les rapports de productions et de consommations que nous subissons, sont mis en évidence par ces détournements de sérigraphies représentant le « Mao » de Warhol recouvert de slogans publicitaires vantant les produits de chez Ikéa. Une marque peu chère, qui standardise nos vies, nos intérieurs, nos foyers… Claire Fontaine procède par opposition, confrontation. D’une part, cette image sérigraphiée, est un rappel à la production de masse, d’autre part, cette mise en perspective renvoie à nos rapports de consommations standardisés, les produits manufacturés ne sont plus produits ici, en Europe mais ailleurs comme en Chine, produits qui viennent alimenter notre confort moderne, dans lequel nous vivons entre passivité et résistance, entre soumission et rejet, un monde somme toute précaire…


France (burnt/unburnt)
courtesy@Air de Paris
          

Ce « Mao » nous interpelle aussi, par la mise en exergue, d’une tentative communiste avortée, la révolution chinoise, de ce qu’elle est advenue: une bureaucratie et un capitalisme d’état, et à nos propres rêves « petit-bourgeois » consommateurs, à nos désirs profond aussi d’un monde meilleur et non subi, à nos désirs de rompre avec une vie non librement consentie.

Mais Claire Fontaine, par cette carte de France faite en allumette, nous propose une solution et pourrait faire sienne les paroles de NTM : « Qu’est-ce qu’on attend pour mettre le feu ? »


Site de Claire Fontaine

CLAIRE FONTAINE
No Family Life
11 fév-19 mars 2011

AIR DE PARIS
28-32 rue Louise Weiss 75013 Paris
T +33 1 44 23 02 77 - fan@airdeparis.com
www.airdeparis.com