26/08/2013

“PLAY IT AGAIN PAM - Sisyphus is a woman” par Arnaud Cohen


Dans nos sociétés occidentales en phase de marginalisation voir de clochardisation, le décalage est chaque jour plus criant entre un réel dévalué et une société du spectacle qui, à l’ère d’internet et du numérique a d’ores et déjà basculé corps et bien dans l’hyperréalité qu’annonçait Baudrillard.  Tous différents et pourtant chaque jour un peu plus semblables, nous sommes à présent abreuvés en permanence d’images ciblant au plus près nos désirs de sexe et de sécurité pour mieux nous soumettre à la marchandise. Les mythes, les allégories, l’art lui-même à travers ses chefs d’œuvres historiques, tout est convoqué pour mieux asservir chacun des rouages d’une société si bien atomisée que la conscience de classe en est petit à petit abolie au profit d’un individualisme au combien plus contrôlable, orientable, en un mot manipulable. Sur le plan individuel comme sur celui des anciens collectifs déliquescents, du village à la nation, de l’équipe à l’entreprise,  chacun d’entre nous oscille entre peur et recherche d’un sommeil apaisant, entre défense et relâchement.
Ainsi le personnage de Pamela Anderson me permet d’aborder les trois lignes de forces qui structurent ma lecture du monde ainsi que mon travail, les trois fils d’Ariane qui relient chacune de mes œuvres : Il me permet d’aborder cette dialectique d’une défense illusoire et d’un relâchement mortifère (ici surveillance de la baie, discipline physique et contrôle sur le corps, mais aussi épuisement, relâchement des chairs, etc.), mais aussi le thème de l’érotisation permanente de l’environnement (inutile de s’étendre dans cette série), et enfin la relecture d’allégories sous un angle marxiste (dans ce cas précis, plusieurs mythes peuvent être convoqués le plus évident étant celui de Sisyphe, l’analyse marxiste s’étendant ici à une problématique post coloniale, la femme restant, de manière particulièrement ostensible dans Bay Watch comme à travers le monde, le dernier continent à décoloniser.)
Projet :
Le projet « Play It Again Pam Sisyphe est une femme» consiste à réaliser une vidéo d’une Pamela Anderson au corps lui ayant en parti échappé (soumission, poids, temps). Elle projète et ramène à elle par un filin et pendant des heures, en boucle, son flotteur de sauvetage. Cette action se déroule dans les ruines immergées d’un temple de la consommation érotisée dont ne resteraient que les bases des colonnes, des bouteilles de coca géantes brisées. Le bassin est en fibre de verre et polyester rose, les bases des bouteilles en aluminium. Le tout est filmé en différents plans fixes en plongée. ( Cette œuvre sera ensuite recrée plusieurs mois plus tard et accessible live via le web à l’occasion de la mise sous surveillance video de l’ensemble du site dans le cadre d’une programmation à venir d’expositions paranoïaques « please no visitors, on line only » confiées à différents commissaires d’exposition. Lancement prévu fin 2013 ou courant 2014. De nombreux artistes ont d’ores et déjà acceptés de participer à cette expérience.)
Protocole :
Le protocole est aussi simple que sadique : un contrat de travail stipule que la performeuse (Gael Depauw, interprète entre autre de Jan Fabre et de Gisèle Vienne, un peu trop âgée et un peu trop plantureuse pour pouvoir remplacer Pamela Anderson de 30 ans dans la série, donc parfaite pour le rôle) doit réaliser ce geste répétitif pendant le nombre d’heures voulu, à un rythme défini également contractuellement (très soutenu, 10 à 12 lancers par minute) avec une distance minimale et maximale de lancer. L’eau du bassin est froide et son niveau, bas, peut varier. Le maillot de bain rouge logotypé Baywatch fourni est légèrement trop petit pour la comédienne. Avec le flotteur gonflable en vinyl et la peruque blonde, ils constituent un « assortiment deguisement sexy » (sexy fancy dress package) bas de gamme. De temps en temps, entre deux lancers, la performeuse regarde désespérement l'une des cameras, guettant en vain un signe, avant de se résigner à reprendre sa tâche. Les plans fixes sont réalisés à partir des emplacements destinés à terme aux cameras de vidéo- surveillance prévues sur ce site, au format « meurtrière » 16/9eme vertical.
L'oeuvre :
L'oeuvre filmée est restituée simultanément dans la même pièce sur plusieurs écrans verticaux, chacun montrant le point de vue différent des deux cameras sous différentes lumières à différents moments de la journée.