23/02/2011

N’OUBLIE PAS D’OU TU VIENS : « URETHRA POSTCARD PICTURES » DE GILBERT AND GEORGE


courtesy@galerie Thaddaeus Ropac




« si tu ne sais pas où tu vas, regardes au moins d’où tu viens ». Se délestant de leurs personnages, , avec la série “Urethra postcards pictures », Gilbert and George, au-delà de leurs provocations coutumières, ne poseraient-ils pas finalement un regard plus grave sur notre condition ?

















Une grande série de tableaux, horizontaux et verticaux, alignés les uns à côté des autres. Ceux-ci reprennent exactement le même motif : douze images qui en encadrent, une autre, placée au centre, symbolisant la forme de l’urètre. En-dessous de cette figure, un court texte avec le titre et le nom de l’œuvre.
Dans « Urethra Postcard pictures », titre de cette exposition  se retrouvent les thématiques chères aux deux artistes, le sexe, la religion, le nationalisme…


courtesy@galerie Thaddaeus Ropac



« Urethra post card », ne relève pas du mode opératoire habituel de Gilbert and George, de cette mise en scène de leur personne, parfois poussée jusqu’à l’excès, où ils apparaissent, soit dans cet éternel costume cravate ou encore nus, dans des situations scabreuses, maniant le sexe, le scatologique… Seul le titre de la série reste en lui-même une marque de fabrique du duo. Force est de constater qu’ils s’effacent ici derrière leurs œuvres…

Gilbert and Georges construisent « Urethra », à partir d’un vocabulaire simple et accessible que chacun peut saisir aisèment: des cartes postales, des prospectus, des flyers. Ils jouent avec des éléments que nous connaissons tous, qui font partis de notre quotidienneté. Ils rebattent en quelque sorte les cartes d’un jeu dont on connaît déjà les figures, les réagençant selon leur bon vouloir, leur subjectivité.

Confrontés aux œuvres de Gilbert and George, un sentiment diffus de perplexité, d’ambigüité, d’ambivalence peut s’emparer de nous.





courtesy@galerie Thaddaeus Ropac





Kitsch dans le choix de ces cartes postales, entretenant le chromo, l’image d’Epinal, les lieux communs d’un pays, la Grande-Bretagne, d’une ville, Londres : monuments, soldats de la garde royale, Union Jack. Lieux communs qui viennent titiller l’imaginaire collectif, nos représentations d’un pays… A première vue, Gilbert and George passent souvent pour de facétieux farceurs, jouant de la gaudriole, semblant souvent se réfugier derrière un égotisme marqué par l’autoreprésentation excessive. Une autoreprésentation, l’on pourrait parler de rôle, qui dissous l’identité en une marque de fabrique, un produit.

« La réthorique immotivée et hyperbolique du kitsch est impudique car elle révèle l’anonymat des formes familières, c’est-à-dire l’appauvrissement progressif de propriétés que produit la praxis énonciative lorsqu’elle socialise les formes. Le kitsch est donc le résultat de la déformation propre à cet appauvrissement anonyme ; une déformation invivable, insoutenable, asphyxiante car elle est le contraire de la singularisation propre à la forme de vie individuelle »*cf :note


courtesy@galerie Thaddaeus Ropac


L’anonymat de la forme renvoie à notre propre anonymat. « Urethra postcard pictures » vient nous faire basculer dans le tragique de notre existence. Malgré la célébration du monde moderne dont se réclament Gilbert and Georges (voir l’interview), ils ne sont pas dupes de ce malaise existentiel, de ce renvoi quotidien à l’anonymat.



Tragique car nous sommes plongés dans un quotidien, fait de numéros de téléphones, de sollicitations à consommer le sexe via des petites annonces, renvoyés à nos solitudes… Tragique dans cette mise en forme, cette mise en espace de notre modernité, cette série de tableaux, par cet alignement de motifs identiques, par cette accumulation couvrant l’espace des murs… Nous nous sentons submergés, et ce qui est présenté n’offre que peu de prises… Nous voilà pris dans le miroir de ce que nous sommes… Ces œuvres, mis les unes à côté des autres, répercutent assez violemment l’uniformité de nos sociétés modernes, et semblent résonner comme autant d’épitaphes gravées dans un mausolée. Gilbert and George procèdent par une rhétorique d’itération qui ne fait, somme toute, que reprendre ce que nous engendrons.


courtesy@galerie Thaddaeus Ropac



Ne laissant finalement trace ici, que du décorum, que  l’ornementation qui, en général, envahissent et prolifèrent dans leurs photographies … Il ne reste plus que l’écrin… Comme une mise à nu, du processus et posent là l’auto-dérision de leur personnages.

Il ne nous reste plus qu’à pisser, jouir, se reproduire ou produire que par le même canal, et ce dont nous sommes issus, l’urètre, nous projette vers notre inexorable et funeste devenir…


*Pierluigi Basso-Fossali. Les seuils du kitsch : de la « logique du bazar » à la « rédemption (apparente) des guillemets ». Essai de sémiologie critique sur la gestion des valorisations1. Nouveaux Actes Sémiotiques [ en ligne ]. Actes de colloques, 2006, Kitsch et avant-garde : stratégies culturelles et jugement esthétique.


GILBERT & GEORGES

URETHRA POSTCARD PICTURES
17 FEVRIER – 19 MARS 2011

Galerie Thaddaeus Ropac
7 RUE DEBELLEYME, 75003 PARIS FRANCE
TEL 331 4272 9900 FAX 331 4272 6166
galerie@ropac.net 


Interview de Gilbert and George réalisé le jeudi 17 février




Transversales : D’où vient l’idée de cette série, est-ce la partie cachée de votre création ? Un recyclage d’archives ? Là vous vous effacez un peu ?

Gilbert and George :

Nous avons collectionné ces documents depuis 6 ou 7 ans. Au départ, ces documents venaient nourrir la série « Jack Freak Pictures » et nous avons décidé ici de reprendre ces documents et de les transformer en œuvres.  En fait, cela fait longtemps que nous collectons ce type de documents, depuis 1972, en fait… Au lieu de prendre des photos, nous trouvions des cartes postales, ce qui était plus simple… A l’époque, c’était plus facile aussi d’avoir une diversité de sujets (des gens qui boivent, des acteurs, des fontaines…) Maintenant, ces cartes se sont standardisées…
Tous les 5 ou 6 ans, nous établissons des critères de sélections et nous engageons un travail… Sur l’aspect documentaire, c’est pour nous une façon de paraphraser la vie moderne à travers ces cartes, ces flyers…
Nous établissons évidemment un fort rapport aussi avec le gouvernement, le sexe, la religion… Le signe de l’urètre nous a fasciné, dans chaque œuvre, notamment en l’occurrence dans celles présentées ici, il y a une dimension morale… Voir l’urètre par laquelle passe l’urine, le sperme, apparemment cela pourrait sembler innocent, juste ludique mais ici c’est comme si nous brulions le drapeau britannique, ce que les politiques évidemment n’apprécient guère…
Nous envisageons cette exposition, comme une exposition de dessins de Van Gogh ou encore Rembrandt, par exemple, ce n’est pas tout à fait la même chose que leur peinture mais cela en participe aussi.
Là, c’est comme porter une Burqa, nous sommes au milieu du sujet, entre observation et participation… Nous ne voulons pas être diffèrents, nous voulons être comme les autres… Avec, cette exposition, nous pouvons « célébrer » la vie moderne… Focaliser sur certains points, les religieux pratiquent le sexe et les travailleurs du sexe peuvent aller prier, par exemple, relever des paradoxes…

Transversales : En quoi consiste ici votre travail sur la série ?

Gilbert and George :

La question de la série, de la répétition, ici, se pose, comme un côté « relentless », comme une opiniâtreté à répéter… Les cartes téléphoniques, par exemple sont des documents sociaux qui n’existaient pas, la vie moderne est terrible dans le sens, dans le sens où nous ne sommes qu’une somme sans cesse répétée de numéros, d’immatriculations, numéros de mobiles, de fax, etc… qui viennent recouvrir notre identité. Ce travail sériel, ces variations, en témoignent, en quelque sorte… Il vaut mieux finalement être criminel car finalement nous ne possédons plus qu’un numéro… C’est plus simple… Nous retraitons ainsi tout cela un peu comme des archives émotionnelles… A la différence de Warhol qui dans ses séries célébrait en quelque sorte la consommation, nous nous célébrons l’humanité.
Une influence aussi, celui des dessins tantriques, les mêmes tonalités de couleurs se retrouvent, ces œuvres ont une aura similaire aux Chakra…

Transversales : « vous avez dit : "les cartes postales sont nos boucliers, nos épées, nos emblèmes, nos visions, nos pierres tombales et nos masques… »

Gilbert and George :

Celui qui vient voir l’exposition peut utiliser, lire, reconstruire ces cartes, ces flyers à sa façon… Nous utilisons quelque chose de déjà là, mais pour parler avec une autre voix. L’art doit être visible mais différemment. Nous nous mettons en retrait pour rendre visible. Une œuvre d’art, c’est comme arrêter le temps, c’est poser un moment pour réfléchir… Par exemple, si vous interpellez un inconnu dans la rue et vous l’arrêtez, il y a de grandes chances pour qu’il s’en rappelle toute sa vie, l’art, c’est pareil, enfin c’est ce que nous essayons de provoquer…


Merci à Alessandra Bellavita pour son aide