27/04/2013

La femme dévoilée





« L’on peut être certain que je le suis, érotique, et que je l’ai toujours été. Mais il me semble qu’un artiste qui ne sens pas la femme ne peut être un bon artiste. Mon œuvre est un chant d’amour à la femme… »
Clovis Trouille














D’abord, la Thérèse du Bernin, cette magnifique figure extatique d’un coït divin… Le voile encadrant le visage de Thérèse, jouissant de dieu… Corps consacré… corps plissé… Le Bernin, l’ouverture à la dimension érotique du religieux… Je pense aussi à certaines Annonciations, Marie touchée par le sperme de dieu, le visage légèrement rosi par le plaisir…
D’autres exemples encore, Saint Jérôme surpris en ses pratiques onanistes par Le Greco… Saint Sébastien, icône homosexuelle…







Un peintre, Clovis Trouille, a su se saisir de toute cette potentialité érotique du religieux et en jouer. Il s’inscrit dans cette filiation culturelle de l’iconographie religieuse. Mais en tant qu’athée porté par ses convictions anarchistes, il met en place une systématique entreprise de dynamitage des codes de l’imagerie religieuse, « s’il y a des moines, religieuses, soldats, dans mes toiles, c’est à l’instar d’œuvres antireligieuses du passé, qui ressemblent au premier aspect, comme deux gouttes d’eau, à des tableaux religieux, c’est là le piquant. D’employer des formes académiques à des fins subversives »[1], « L’on ne voit pas pourquoi l’on n’emploiera pas les mêmes moyens que les religieux pour impressionner le pauvre peuple… »[2]
Il utilise dans sa peinture, la palette même de cette église catholique  (pourpre, rouge cardinal, noir, bleu)
Moniales saphiques en porte-jarretelles, Christ sous fellation, prêtres dissimulant un désir montant sous les attributs vestimentaires de leurs fonctions emplissent les tableaux de Trouille. Les couvents, les églises, les cimetières deviennent, dans sa peinture, de joyeux lieux de plaisir.
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De même qu’il s’attaquera tout au long de sa production à la société bourgeoise de son époque et sera viscéralement antimilitariste. Clovis Trouille fait partie de cette génération traumatisée et sacrifiée sur l’autel de la première guerre mondiale. D’où peut-être aussi cette approche et cette récurrence si particulière de la mort dans son œuvre. Une mort démystifiée, mise en scène de façon théâtrale.

Mais son œuvre ne peut se réduire à cette charge fortement antireligieuse et antibourgeoise. Clovis Trouille est avant tout un peintre, un peintre précurseur ou tout au moins ayant devancé les pas du Pop-art, de la  Nouvelle figuration, de la Figuration libre.
Il est assimilé au surréalisme bien qu’il en pris assez vite ses distances, en contestant l’aspect dogmatique. Il s’en appropriera les libertés et inventions formelles, le goût des rapprochements insolites mais paradoxalement se revendiquera toujours d’un certain académisme.





« J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires »
Cet extrait de la « Lettre au voyant » d’Arthur Rimbaud s’applique à merveille à  Clovis Trouille,
En effet, son univers se nourrit d’affiches publicitaires ou de cinéma, d’imageries exotiques, de photographies en tous genres, (pin-ups, faits divers) découpées et préalablement utilisées en collages avant de servir de modèles à des sujets futurs, « Dali n’hésite pas à calquer des photos. Bravo ! Moi aussi… Et je ne vois pas la différence qu’il y a entre cette pratique et dessiner d’après nature et s’en dire l’auteur. « Il n’y a pas d’auteur », écrivait Rimbaud. Il n’y a donc qu’à choisir. C’est tout ce que peut faire un artiste ».




Il reprend à son compte la citation de Léonard de Vinci dont il est un grand admirateur : « Pintura e cosa mentale » et rejette l’idée d’une peinture strictement rétinienne.
Il précède le Pop-art par cette attention portée aux affiches, aux icônes de son époque qu’il intègre dans ses oeuvres ;  par exemple utilisation de Jane Russel en Calamity Jane ou alors de Marylin Monroe dans ses tableaux, « Je vous joins deux photos de mes toiles qui sont du Pop-art bien avant que l’on en parle. L’une « La morte en beauté » est un hommage mystique à Marylin Monroe »[3] .
Il entend s’inscrire dans la tradition picturale en faisant explicitement références aux peintres du passé, « Je suis fier d’être ainsi plutôt un peintre d’arrière-garde que d’avant-garde, car l’art est de tous les temps pour moi »[4].
Il se réfère donc à Vinci, mais aussi à des peintres comme Michel-Ange, Giorgione, Zurbaran, Delacroix …







Dans une perspective récente, l’œuvre de Clovis Trouille provoque d’étranges résonances…
L’esprit libertaire et festif présent dans sa peinture est à confronter à l’atmosphère mortifère d’un obscurantisme religieux qui revient au galop, des va-t’en guerre de tous bords, d’un économisme forcené qui transforme le principe de plaisir en une consommation effrénée d’images et de produits.
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Clovis Trouille, trop longtemps considéré comme un surréaliste mineur, reste un peintre à redécouvrir et son érotisme joyeux, un bel antidote à la névrose généralisée de ce monde.


Petite bibliographie :

Parcours à travers l’œuvre de Clovis Trouille 1889-1975, Monographie par Clovis Prévost, Actes Sud, Paris, 2003

Clovis Trouille, Collection La septième face du dé, Textes de Léon Charmet, Editions Filipacchi, Paris, 1972

Correspondance à Maurice Rapin, Clovis Trouille, Didier Devillez Editeur, Bruxelles 2001






[1] Lettre de Clovis Trouille à Maurice Rapin, Quiberon, 20 août 1959
[2] Propos de Clovis Trouille
[3] Lettre à Honoré Lo Luca, Paris, 21 juillet 1964
[4] Lettre à Maurice Rapin, 20 Août 1959

24/04/2013

"Don't want to be alone" une "Angelic conversation" d' Alain Polo

Alain Polo (né à Kinshasa en 1985) a été remarqué par sa première série photographique d'auto-portraits au miroir cassé (2008-2009). Tout en poursuivant ses performances d'artiste plasticien, il a réalisé en 2011 une autre série tout aussi intimiste "Don't Want To Be Alone" 


« un monde de rêve, un monde de magie et de rituel, bien qu'il y ait des images de voitures brûlées et de systèmes radar, qui nous rappellent qu'il y a un prix à payer pour gagner ce rêve face à un monde de violence. »
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Derek Jarman




Alain polo "courtesy Revue Noire" 



I. Ascension - (Sonnet LVII)

Being your slave, what should I do but tend 
Upon the hours and times of your desire? 
I have no precious time* at all to spend, 
Nor services to do, till you require. 
Nor dare I chide the world-without-end hour
Whilst I, my sovereign, watch the clock for you,
Nor think the bitterness of absence sour 
When you have bid your servant once adieu; 
Nor dare I question with my jealous thought 
Where you may be, or your affairs suppose, 
But, like a sad slave, stay and think of nought
Save, where you are how happy you make those.
   So true a fool is love that in your will,
   Though you do any thing, he thinks no ill. 



Alain polo "courtesy Revue Noire" 





IV. Finite Bees - (Sonnet XLIII)

When most I wink, then do mine eyes best see, 

For all the day they view things unrespected; 
But when I sleep, in dreams they look on thee, 
And darkly bright are bright in dark directed. 
Then thou, whose shadow shadows doth make bright, 
How would thy shadow's form form happy show 
To the clear day with thy much clearer light, 
When to unseeing eyes thy shade shines so! 
How would, I say, mine eyes be blessed made 
By looking on thee in the living day, 
When in dead night thy fair imperfect shade
Through heavy sleep on sightless eyes doth stay!
   All days are nights to see till I see thee,

   And nights bright days when dreams do show thee me.



Alain polo "courtesy Revue Noire" 


VI. Sun Ascension a - (Sonnet CXLVIII)
O me, what eyes hath Love put in my head,
Which have no correspondence with true sight! 
Or, if they have, where is my judgement fled,
That censures falsely what they see aright?
If that be fair whereon my false eyes dote,
What means the world to say it is not so?
If it be not, then love doth well denote
Love's eye is not so true as all men's 'No.'
How can it? O, how can Love's eye be true,
That is so vex'd with watching and with tears? 
No marvel then, though I mistake my view;
The sun itself sees not till heaven clears.
O cunning Love! with tears thou keep'st me blind, 
Lest eyes well-seeing thy foul faults should find. 





Alain polo "courtesy Revue Noire"  


VIII. Escalation - b - (Sonnet LV)

Not marble, nor the gilded monuments
Of princes, shall outlive this powerful rhyme;
But you shall shine more bright in these contents
Than unswept stone besmear'd with sluttish time.
When wasteful war shall statues overturn,
And broils root out the work of masonry,
Nor Mars his sword nor war's quick fire shall burn
The living record of your memory.
'Gainst death and all-oblivious enmity
Shall you pace forth; your praise shall still find room
Even in the eyes of all posterity
That wear this world out to the ending doom.
    So, till the judgment that yourself arise,
    You live in this, and dwell in lover's eyes.






Alain polo "courtesy Revue Noire" 


VIII. Escalation - c - (Sonnet XXVII)

Weary with toil, I haste me to my bed,
The dear repose for limbs with travel tired;
But then begins a journey in my head,
To work my mind, when body's work's expired:
For then my thoughts, from far where I abide,
Intend a zealous pilgrimage to thee,
And keep my drooping eyelids open wide,
Looking on darkness which the blind do see
Save that my soul's imaginary sight
Presents thy shadow to my sightless view,
Which, like a jewel hung in ghastly night,
Makes black night beauteous and her old face new.
    Lo! thus, by day my limbs, by night my mind,
    For thee and for myself no quiet find.



Les extraits du film de Derek Jarman ne correpondent pas aux  extraits des sonnets... Avant tout  un grand merci à Alain Polo et aussi à "Revue Noire " 

10/04/2013

Le Prëtre, la Dîme et la Burqa




Drôle d’aventure que celle de Thierry Verbeke où, sur par simple fait d’une information tronquée, par un journaliste en quête de papier, se retrouve piégé dans les rets nauséabonds et  pestilentiels de certains politiques.


















Tout art est politique car faisant partie prenante de la cité. Des bustes aux effigies des monarques, aux actions de certains « happening », l’histoire de l’art en fait foi. L’art ne survole pas notre monde des régions éthérées de l’Olympe mais vient mettre les mains dans le cambouis pas toujours reluisant de notre monde !
Le travail de Thierry Verbeke est évidemment politique, dans le sens noble, bien évidemment, car il autopsie cette cité vient en pointer les hiatus, ses rapports!
Les démêlées de Thierry Verbeke, avec sa pièce « Miss burqa » devient le nœud gordien dans lequel sont venus s’entremêler des intentions politicardes les plus basses, où comme toujours, l’art en fait les frais, et se trouve jeté à la vindicte populaire.




Acte 1 : Suite à une subvention manquante, le défilé du 32 mars qui devait accueillir « Miss burqa », la géante du projet « aujourd’hui c’est permis » a préféré annuler le défilé. La presse a relaté le non événement, en parlant d’interdiction de la part de la Mairie de Roubaix. Notre fameux journaliste  possède la déontologie bien accrochée au bout de sa plume.

Acte 2 : Un nouveau personnage,  Sébastien Leprêtre, maire UMP de La Madeleine, banlieue de lille s’étonne de l’aide à la création perçue pour ce projet et affirme qu’il s’agit d’une « véritable provocation ». Il jette son anathème sur l’art contemporain. Ce même Leprêtre, auteur, soit dit en passant, d’une loi anti- mendicité dans sa commune. Qu’aurait-il fait de la subvention, lutter contre la pauvreté ? Chez lui, on ne serait les voir : l’art du Moucharabieh, l’art de la Burqa, finalement….


Acte 3 : suite à la publication du montant de 8000 euros de l’aide à la création, la vindicte populaire se déchaîne dans les courriers des lecteurs et sur les blogs. Il est à noter la même haine pour l’art contemporain, chez les champions de la laïcité et les islamophobes.

Acte 4 : l’affaire devient politique, les élus avouent qu’ils votent parfois les délibérations sans avoir pris connaissance de leur contenu.

Acte 5 : Re vindicte populaire, à l’égard cette fois-ci des élus accusés de dilapider l’argent public dans des œuvres d’art qui n’en sont pas. Des élus sont-ils habilités à juger de l’art ? N’est pas Laurent de Médicis qui veut !



Beaucoup de bruit pour rien ? Hélas, non, cette affaire relève de plusieurs ordres. Un journalisme en quête de sensationnel pour vendre, des élus, le plus souvent ignares et conservateurs qui eux ne dilapident pas l’argent. Ils gagnent du temps et comme le temps c’est de l’argent, ils ne lisent pas les dossiers. Et la vox populi vient se repaisser sur un artiste qui faisait simplement son boulot.

Mais le mieux est de laisser la parole à l’artiste :



« Depuis la fin des années 90, je développe un travail qui recycle, détourne et interroge les images des médias. Ce questionnement recouvre l'image, d'information, de publicité, de communication officielle lors de conflit, de communication politique, du monde du travail... Il y a un an de cela, j’ai obtenu du conseil régional du nord, une aide à la création pour le projet baptisé « aujourd’hui c’est permis ». Il s’agissait de faire construire par un artisan spécialisé, un géant portant une burqa.
À l’origine du projet il y a eu la découverte du texte de loi Belge « anti burqa »qui a précédé le texte Français de quelques mois. Daniel Bacquelaine, député bourgmestre du Mouvement réformateur à l'origine du texte précisait à l’époque que les maires auraient la faculté de suspendre la loi lors de festivités comme le carnaval. Il ne s’agissait pas bien sûr d’autoriser la burqa lors de ces périodes mais de préserver un folklore local.





Rappelons que le carnaval et ses géants sont dans le nord de la France et en Belgique une véritable institution. Les géants représentent un groupe, une ville ou une légende locale. Ils sont en tout cas totalement ancrés dans le territoire. Si la haute stature du géant peut faire peur, il représente malgré tout une fierté pour les habitants, qui trouvent en lui un ambassadeur de «taille».
En prenant connaissance du texte de loi, j’ai donc décidé de m’insérer dans cette brèche en réalisant un géant en burqa et d’intituler le projet « aujourd’hui c’est permis ». Je souhaitais bien sur insister sur l’hypocrisie de la loi qui ne nomme pas spécifiquement la burqa pour éviter d’être déclarée anticonstitutionnelle. Je voulais également dénoncer une loi votée à des fins politiques. Cette loi a été créée à mon sens à des fins purement électoralistes au moment où il s’agissait pour le pouvoir en place de créer l’illusion d’un gouvernement en action. Outre le fait que seule une très faible minorité de femmes soit concernée, l’interdiction d’un type d’habillement est pour moi un débat surréaliste. Surréaliste au même titre que la justification couramment entendue : « le port de la burqa n’est pas une prescription religieuse inscrite dans le coran ». Quand bien même le coran indiquerait que les femmes sont obligées de porter ce costume, l’injonction en serait-elle plus acceptable pour autant ?





Alors oui, c’est vrai, la burqa masque le corps et enferme celle qui la porte. Pour autant, la loi n’est pas fondée par une intention émancipatrice, puisqu’elle fait des femmes, des « criminelles » sujettes à l’amende. C’est pourquoi, je pense qu’il peut exister une voie médiane et qu’il n’y a pas de contradiction à s’insurger à la fois contre le port de la burqa dans l’espace public et dans le même temps contre la loi qui prohibe ce type de vêtement.
En réalisant ce travail, je ne souhaitais donc pas faire de prosélytisme, ni une caricature « à la Charlie Hebdo », mon ambition était de faire cohabiter dans un même espace-temps, celui de la fête, deux figures au premier regard opposées. Si elles sont en apparence très distinctes dans leur symbolique, la burqa et la figure du géant présentent des ressemblances formelles, notamment celle de la grille à travers laquelle le porteur regarde pour pouvoir se déplacer. Deux grilles donc pour mon géant, une devant les yeux et une au niveau du bas-ventre commune à tous les géants, souvent perçu par ceux qui ne connaissent pas cette tradition comme une allusion sexuelle. L’utilisation de cette méconnaissance de la fonctionnalité de la grille rendait inopérant l’effacement de tout caractère sexuel induit par le port de la burqa. 






Cette grille parfois recouverte d’une mousseline pour éviter que le porteur ne soit importuné par des jets de confettis était laissée telle quelle pour que on puisse apercevoir le porteur à travers l’ouverture. Nous avons donc ici un homme qui est symboliquement revêtu d’un costume destiné à cacher le corps des femmes. Cette « inversion » nous renvoie à l’histoire même du carnaval. Rappelons qu’à l’origine, ces fêtes se rattachaient aux traditions religieuses de la plus haute Antiquité. Elles célébraient le commencement de l’an nouveau et le réveil de la nature. Pendant quelques jours, les esclaves devenaient les maîtres, les maîtres prenaient la place des esclaves, les servant à table par exemple : devenait permis ce qui était habituellement interdit. 






Le carnaval revêt encore aujourd’hui une dimension de contestation sociale, dissimulée par le mode de la dérision sur lequel il se déroule. Le carnaval est ainsi l’expression d’un désordre, canalisé, temporairement autorisé car déployé sur une courte temporalité particulièrement encadrée. Ce désordre maîtrisé, lieu de débordements de tous ordres est particulièrement salvateur, dans une société où les expressions corporelles, cultu(r)elles dissonantes sont de plus en plus perçues comme dangereuses pour la cohésion sociale. »

Thierry Verbeke et Valéry Poulet