08/09/2010
























« Une Chinoise » de Guo Xiaolu, un film sur les désirs d’ailleurs mais surtout un beau portrait de femme.


Une jeune fille, Li Mei, s’ennuie ferme dans sa vie provinciale, une vie morne faite de menues occupations quotidiennes, où rien ne se passe. Elle rêve d'échapper à cette vie et de rejoindre la grande ville.

Le fil conducteur du film de Guo Xiaolu est donc cette jeune fille, Li Mei. D'elle, nous ne savons pas grand chose, elle vit avec ses parents, déjà âgés, dans une province encore rurale. Elle travaille dans une petite gargote au bord d'une route, lieu de passage, lieu aussi où se réunissent les jeunes des environs qui passent leurs temps à d'incessantes parties de billard.

La réalisatrice fait de Li Mei, une image allégorique de la jeunesse chinoise. A travers Li Mei, se dessine en creux, les désirs, les aspirations de cette jeunesse chinoise prise au piège dans les contradictions d’une société écartelée entre ultra modernité et tradition. Mais, au-delà de cette valeur d'exemple que semble a priori incarner Li Mei, Guo Xiaolu emprunte les voies du récit d'initiation et dessine pour son personnage,un parcours âpre, parfois douleureux dans lequel Li Mei gagnera son indépendance.

« Une chinoise » est un film sur la mondialisation et de ses conséquences dans l'esprit des jeunes chinois d'aujourd'hui, coincé entre un passé communiste encore proche, celui de leurs parents, et un présent marqué par un capitalisme débridé. Un film sur les flux migratoires, d'abord ceux internes à la Chine; Li Mei devient le portrait archétypal de ces jeunes qui, pris entre des perspectives d'avenirs peu réjouissantes dans une campagne chinoise, se mettent à l'écoute du chant des sirènes de la ville et si précipitent comme des lucioles vers la lumière. Ces grandes villes du pays, moteurs de la croissance chinoise, représentent pour eux tout autant l'espoir d'une vie plus riche, que d'une vie plus conforme aux canons de la modernité.



Les quelques plans d’introduction en disent long: ainsi la rencontre avec ce jeune affranchi, ayant quitté le village et vivant à Schenzen, jouant l’épate devant ses copains, avec son scooter, avec ses fringues, son argent. Ce jeune représente aux yeux de Li Mei, toute cette modernité, tout ce qu’elle désire être, tout ce qu'elle désire avoir, tout ce qui est loin de cette monotonie provinciale qu'elle vit avec ses parents.

Mais ces grandes villes, porteuse d'espoirs sont aussi celles des désillusions pour beaucoup et se transforment vite en jungle ou en cauchemar pour beaucoup de ces déracinés de province qui viennent y échouer.

Li Mei, embauchée dans une usine, fait très vite cette expérience. Elle ne tient pas les cadences imposées et se fait fait mettre à la porte. Ce licenciement donne lieu à un véritable procès public digne des séances de dénonciations et d'autocritiques communistes.
Cette séquence permet d'ailleurs à Guo Xiaolu de poser intelligemment les réalités de cette société chinoise où cette longue marche forcée vers le capitalisme ne s'embarrasse pas de scrupules, laisse bon nombre de gens sur le carreau, le capitalisme et la consommation n'étant pas synonymes de démocratie et de respect des droits de l'homme, loin s'en faut.

Pour Li Mei ou pour d'autres laissés pour compte, peu de choix s'offrent alors; vivre d'expédients, vivre à la marge, faire le choix pour certains de sombrer dans la criminalité comme Spikey,, un tueur, dont Li Mei tombe amoureuse et qui finira tué.
Le mirage, pour beaucoup, prend la forme des pays occidentaux. Mi Lei part en Europe à Londres. Ces désirs d'ailleurs prennent dans le film la forme de chromos. Pour Li Mei, se sera une photo de Londres sur un calendrier: ces images venues d'ailleurs, souvent stéréotypées, viennent nourrir l'imaginaire de ces jeunes en quête d'un monde meilleur. Londres, Paris ou New-York deviennent des récurrences mentales. La bande-son, par ailleurs excellente, constituée en partie de groupes rock chinois vient rythmer et renforcer cette part fantasmatique.
A Londres, Li Mei se retrouve confrontée à la condition des immigrés,sans-papiers, elle passe de petits boulots en petits boulots, dort chez des vendeurs de sommeil d'une périphérie anonyme loin de ses rêves de cartes postales. L'univers dans lequel elle vit, est aussi restreint que dans sa province ou à Shenzen. Pas d'horizon, les conditions de vie ne sont guère mieux. La réalisatrice exploite finement aussi les écarts de cultures, les différences entre les communautés qui se croisent dans ces Babylone modernes que sont les grandes métropoles occidentales. Ses relations avec Rachid, un indien musulman, en sont un exemple, ce qui rapproche au départ, la jeunesse, les mêmes conditions d'existences faites de précarité, bientôt s'éloignent pour laisser place à l'incompréhension. Rachid, en quelque sorte le pendant masculin de Li Mei, lui, effectuera mentalement le cheminement inverse de Li Mei et retournera dans son pays.

Mais le film de Guo Xiaolu relève d'un autre type d'échappée, d'ouverture. cette évasion prend la forme d’un parcours initiatique. Ce que trouvera finalement Li Mei au bout de ce parcours: c'est elle-même.

Partie d'un monde enclavé,sa province natale, où la femme est encore traitée comme inférieure, sur lesquelles tout les droits s’exercent Li Mei vit dans un monde d’hommes, que ce soit en Chine, ou plus tard en Grande-Bretagne, ceux-ci imposent leurs dominations, les femmes subissent doublement les conditions précaires.
Non seulement Li Mei finira par partir mais dans son périple, elle y gagnera sa liberté. Li Mei est un personnage qui gagne en force, d’abord frêle, fragile, elle se défait des soumissions peu à peu. D’abord celle de ses parents, de son milieu, puis victime d’un viol, elle ne se résigne pas. Que ce soit avec ses rapports amoureux avec Spikey, relation dans laquelle elle découvre son corps, le désir physique, que ce soit avec Monsieur Hunt, un anglais plus âgé avec lequel elle se marie par nécessité et qu’elle quittera pour Rachid, peu à peu, Li Mei s’autonomise pour finalement accéder à sa liberté de femme.


Ne pas savoir grand chose de Li Mei, la traiter juste en esquisses, par touches, sans approfondir le personnage en apparence, est un choix délibéré de Guo Xiaolu qui permet d’une part de faire de Li Mei, une figure représentative de la jeunesse chinoise mais aussi en ne rentrant pas dans un portrait psychologisant, Li Mei devient cette figure de liberté, d’émancipation des femmes.
Guo Xiaolu laissera finalement son personnage voguer de ses propres ailes car enfin Li Mei semble s’être réalisée.
"Une Chinoise"
Réalisation: Xiaolu Guo
Chine / Grande-Bretagne
avec
Mei : Huang Lu
Spikey: Wei Bo
Monsieur Hunt: Geoffrey Hutchings
Rachid: Cris Ryman