14/09/2010

Mises en jeux


Autofiction, théâtre de l’intime, les mots sont lâchés. Si l’essentiel du travail d’Axel Di Chiappari tourne autour de la question du « Je », de l’autoreprésentation, n’y voir chez lui qu’un art de l’intime, tourné sur lui-même, serait absolument réducteur : L’univers proposé par ce plasticien se déploie avec une indéniable force plastique.


Le corps est une réalité avec laquelle nous vivons quotidiennement. Une réalité présente et combien tangible avec laquelle il faut compter parfois terriblement. Le corps comme donnée physique cela suffirait bien à sa peine si il n’était pas non plus le réceptacle, le palimpseste sur lequel s’inscrivent d’autres réalités : réalité sociales, psychologiques : les mains d’un ouvrier usées par le travail, son corps fourbu, ses traits ou viennent se stigmatiser la fatigue, reflet des états d’âmes, des tristesses, corps somatisant où viennent croupir les ulcères… ou alors magnifiés, transformés, érigés en gloire…



Camouflage aux idées noires


« Mais puisqu’il voit et se meut, il tient les choses en cercle autour de soi, elles sont une annexe ou prolongement de lui-même, elles sont incrustées dans sa chair, elles font parties de sa définition pleine et le monde est fait de l’étoffe du même corps »
Merleau-Ponty, L’œil et l’Esprit

Les travaux d’Axel Di Chiappari se déclinent principalement en séries d’autoportraits et prennent souvent formes de scènes minimalistes: « Camouflage aux idées noires » , « Autoportraits aux souvenirs décrochés » ou encore « Glauque love with a soft thing »… D’autres séries comme portent sur des objets familiers relatifs à la vie de Di Chiappari ou évoquant des souvenirs passés.


Souvenir d’avoir séché tes larmes

Enfance étouffée

Avec Axel Di Chiappari, un jeu narratif relayé par de petites mises en scènes s’engage avec le regardeur. Ce terme « mise en scène » revêt son importance dans le dispositif proposé par Di Chiappari : d’abord il y a souvent cette même expression du visage, imperturbable, impassible aux situations dans lesquelles Di Chiappari se met en représentation ou en jeu et qui n’est pas sans rappeler Buster Keaton. Di Chiappari semble entrer dans la peau d’un personnage. Mais ici L’intime est ici mis à distance respectable, le pathos est désamorcé par la mise en scène et la dérision qui s’en dégage. Un rien de désinvolture, de détachement, les aléas imprègnent le corps de Di Chiappari sans finalement y laisser une marque indélébile. L’encre qui entache le visage, s’efface et laisse vite place à autre chose.

Rien de spectaculaire, de condescendant ou d’outrancier, rien qui ne force le regard à contempler le déballage parfois obscène du « Je », Di Chiappari évite les obstacles de ce que l’on peut appeler l’intimisme névrotique. Certes, il présente son corps sans majesté, corps destitué de sa superbe, corps et visage qui ne cessent de parcourir les espaces psychologiques auxquels le plasticien consent à laisser libre-cours, sans affect inutile, sans nulle surenchère ou effet expressionniste.
Le « je » se transforme en « jeu », mais attention, derrière l’humour peut se cacher l’élégance du désespoir. Jeu sur les mots aussi, les titres des œuvres, des séries entretiennent chez Di Chiappari un rapport étroit, viennent souvent s’associer à l’image pour créer un décalage humoristique.

A travers ses travaux, Axel Di Chiappari ne cesse de se malmener avec beaucoup de dérision, il vient mettre en image et pointer du doigt nos propres angoisses, nos propres chimères. Ces séries réfléchissent notre propre intimité, à l’exemple de la série « Chaises » ou encore « Glauque love with a soft thing » qui nous renvoie à la frustration sexuelle, à l’onanisme, aux manques…




Solitude d'un blaireau

L’usage de la série implique un rapport sur les variations, les répétitions mais aussi en l’occurrence un rapport au temps. Il s’agit pour Di Chiappari de saisir ses humeurs, ses ressassements, ses angoisses mais aussi les menus bonheurs donc et de les fixer au plus juste… Tentative de fixer le temps à travers des breloques fétichisées, des objets qui deviennent autant de réceptacle où la mémoire fraye son chemin, grave son empreinte, tente de s’opposer à l’oubli.
La majeure partie des travaux de Di Chiappari passent par le médium photo qui participe de cette tentative de saisie, de suspension, un médium souple, qui se travaille mais qui répond aussi à l’instantané. Chiappari n’est pas photographe mais promeut la photographie comme médium de prédilection, a priori il ne l’envisage pas comme finalité, ce qui n’empêche celui-ci d’en faire cas : usage prépondérant du noir et blanc, incursion dans le traitement numérique.
Le visage, généralement saisi plein cadre, envahit l’espace, provoque et impose un effet de surgissement. Le gros plan tend aussi vers la fixité.





















Rembrandt "Autoportraits"
Se prendre comme propre sujet est l’une des grandes affaires de l’histoire de l’art occidental, beaucoup de peintres s’y sont frottés, de Dürer à Picasso, la liste est longue.
Mais chez Di Chiappari, Rembrandt semble le plus proche dans la façon d’appréhender sa propre image. Rembrandt fit plus d’une centaine d’autoportraits tout au long de sa vie, autoportraits dans lesquels il ne s’épargnait que rarement, se peignant avec une grande lucidité, sans complaisance, se vieillissant le plus souvent, n’épargnant pas la moindre ride. Axel Di Chiappari se traite de façon semblable.
Il faut préciser que Di Chiappari fut d’abord peintre avant d’utiliser d’autres médiums.


Double fuck des deux côtés


Gina Pane, Escalade non-anesthésiée, 1974, MNAM


Inscription aussi dans le Body Art aussi. Di chiappari annexe, plie son corps à la discipline de ses créations. Corps comme mesure du temps et réceptacle, mais aussi corps à la limite de la chorégraphie dans des séries comme « Glauque love with a soft thing » ou encore dans les « Chaises ». Avec des artistes comme Michel Journiac ou encore Gina Pane en ligne de mire mais aussi Dieter Appelt.
A l’instar d’un Bruce Mac Lean, cette chorégraphie qui se retrouve figée par le médium photographique, s’infléchit vers la sculpture. En effet si des séries comme les « chaises » peuvent se lire de prime abord comme une métaphore du manque, sexuel en l’occurrence, cette série peut se lire aussi comme une tentative d’une appropriation du corps en terme de sculpture, la série « Just an animal » pourrait aisément prendre la forme de bas-reliefs dans ces pleins et ses vides créés par le traitement numérique.


Série: "Just an animal"

Cet infléchissement vers la chorégraphie, vers le corps saisi en mouvement renvoie aussi à un dispositif cinématographique. L’usage de la série dépasse souvent la simple répétition et l’idée de pattern, de la variation du motif pour engendrer du mouvement, la série « Just an animal » qui rejoue un parcours, un déplacement, en est un parfait exemple, les séries sur les visages renvoient aussi au Morphing.




Série « glauque love with a soft thing »

ces mises en situations tragi-comiques enquillées comme autant de gags à répétitions, cet équilibre instable, semblent entériner cette idée d’un retour au burlesque …

« L'Homme qui ne rit jamais, Visage de marbre, Tête de buis, Figure de cire, Frigo et même Masque tragique, voilà comment on m'a toujours surnommé »

Axel Keaton ou Buster Di Chiappari ?