Suite à un article « Confort moderne » sur l’exposition de Claire Fontaine, dont j’assume la rédaction, article plutôt favorable au travail plastique proposé et à la démarche de l'artiste, d’autres éléments sont venus à ma connaissance qui questionnent sur la démarche de Claire Fontaine ;notamment, l’appartenance de l'artiste au fonds de pension Artist Pension Trust, ce qui m’apparait a priori comme contradictoire avec leur positionnement politique.
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Il faut évidemment tenir compte aussi que le système et la culture anglo-saxonne est assez différente de la notre.
Je tenais à en tenir informé les lecteurs de Transversales. Voici quelques éléments de compréhensions, il serait intéressant d’avoir aussi le point de vue de Claire Fontaine sur la question, sur cette apparente ou réelle contradiction....
Modèle du système Artist Pension Trust, publié sur le site du fonds de pension
Article de Claire Moulène paru dans les Inrocks concernant APT
Vrai système d'aide aux artistes ou énorme machine à profits aux mains de spéculateurs ? Le fonds de pension APT (Artist Pension Trust) crée la polémique dans le monde de l'art.
Organigramme incompréhensible, implantation dans un paradis fiscal, objectifs-écrans et vrais profits, réseautage mondialisé, machine à spéculation... Bienvenue dans le monde de l'art post-Madoff, bienvenue dans APT !
Créé en 2004 à New York, Artist Pension Trust affiche des objectifs louables : face à la précarité économique de nombreux artistes et aux inquiétudes légitimes de ces derniers en matière de retraites, APT propose un retour sur investissement à long terme. En clair : une mutualisation des revenus qui permet à l'ensemble de la communauté des artistes adhérents au fonds de pension de toucher un pourcentage sur les ventes.
Le principe est simple : chaque artiste recruté par les antennes régionales d'APT, situées entre autres à Berlin, Londres, Dubaï ou Mexico, s'engage sur une mise en dépôt de vingt oeuvres en vingt ans. A la vente des oeuvres, l'artiste producteur touche officiellement 40 % des bénéfices, le fonds de pension en récolte 28 % et la communauté des artistes les 32 % restants, répartis au prorata de l'investissement de chacun.
A l'heure actuelle, on compte 1 347 artistes internationaux inscrits, émergents ou confirmés, parmi lesquels Saâdane Afif, Dora Garcia, Gelitin, Liam Gillick, Douglas Gordon, Keren Cytter, Benoît Maire ou Loris Gréaud.
Selon Ali Cirgenski (art collection manager pour APT), "les ventes devraient commencer officiellement en 2011. D'ici là, les premiers travaux mis en dépôt au sein d'APT seront présentés et vendus lors de la foire de Miami qui commence ces jours-ci".
Voilà pour le pitch. Rien d'inquiétant a priori : le projet pourrait même passer pour philanthropique. "David Ross, l'ancien directeur du Whitney Museum et cofondateur d'APT, raconte volontiers comment une conversation avec les artistes John Baldessari et Kiki Smith l'a alerté : du jour au lendemain, ceux-là se sont retrouvés sans le sou", se souvient Aurélie Voltz, commissaire free lance associée à APT.
Le piège de la course aux investissements
Au-delà des fantasmes générés par les ventes colossales et la réputation sulfureuse de certains artistes, la réalité du milieu de l'art repose sur cette instabilité constante d'artistes pris au piège de la course aux investissements.
En France, on compte environ 150 000 artistes, dont 5 % seulement gagnent leur vie grâce à leur production. Invités à cotiser à la Maison des Artistespour bénéficier d'un régime d'assurance sociale, ils se retrouvent confrontés à une logique de classification qui n'a plus grand-chose à voir avec la diversité actuelle des profils. Surtout, à l'heure où les retraites occupent le devant du débat politique, les artistes comptent parmi les laissés-pour-compte du régime par répartition. En ouvrant des perspectives en matière de mutualisation et de placements à long terme, APT a au moins le mérite de poser une question généralement passée sous silence.
Une société quasi secrète qui pourrait s'avérer dangereuse
Pour certains commentateurs, artistes ou institutionnels qui ont été approchés ou se sont simplement penchés sur le cas APT, cette société quasi secrète pourrait s'avérer bien plus dangereuse qu'il n'y paraît.
Comme dans les romans de l'écrivain français Antoine Bello, où une organisation internationale et clandestine falsifie la réalité, APT serait une sorte de super monopole qui travaillerait à sa propre légitimation.
"J'ai cru au départ qu'il s'agissait d'une fiction créée par un artiste pour critiquer ce type de mécanismes à la Madoff", note ainsi un internaute sur le forum d'APT. Quand j'ai compris que ce n'était pas le cas, c'est devenu une sorte de cauchemar."
Pour le collectif d'artistes Société réaliste - qui a refusé les avances du fonds de Dubaï après avoir lu le contrat de dix-huit pages -, "le modèle d'APT est basé sur le même chantage et la même avanie idéologique que le modèle libéral : un modèle selon lequel il faut laisser prospérer Wall Street pour pouvoir manger sur Main Street. Si on veut nous faire croire qu'une multinationale comme APT est un fonds de pension coopérativiste et mutualiste, Bernard Madoff dans sa cellule sera ravi d'apprendre qu'il est un pur proudhonien et qu'il a fait des petits", commente avec ironie ce collectif qui a élaboré en 2006 une "institution fictive" baptisée Agence Ponzi, en hommage à l'inventeur des bulles spéculatives, Charles Ponzi. Sous couvert d'un discours novateur et charitable, "une occasion unique pour les artistes émergents et en milieu de carrière", comme l'explique son actuelle directrice, Pamela Auchincloss, APT, c'est en effet avant tout le jackpot assuré pour ses dirigeants.
"La valeur actuelle des oeuvres est estimée à 56 millions de dollars", explique Pamela Auchincloss. En fait, compte tenu de la règle qui prévaut à la mise en dépôt des oeuvres, le calcul laisse présager des bénéfices bien plus importants.
L'arnaque ? Une part d'investissement quasi nulle
Sachant qu'APT regroupe aujourd'hui 1347 artistes dans huit fonds répartis dans le monde entier, que chacun met à disposition vingt oeuvres dont la valeur unitaire équivaut à 3 000 dollars, l'addition totale atteint déjà les 81 millions de dollars.
Sans parler de la plus-value inhérente au marché de l'art affichée puisque APT se réserve le droit de vendre "au meilleur moment, afin d'optimiser le retour potentiel sur investissement".
Pour Etienne Gatti, auteur d'un article paru l'année dernière dans la revueParticules, c'est là que réside l'arnaque APT, dont la part d'investissement est quasi nulle hormis les frais de stockage :
"Un collectionneur lambda qui souhaite spéculer sur l'art contemporain fait face à un problème incontournable : il doit acheter les oeuvres. Ce postulat limite le nombre d'artistes sur lesquels il peut spéculer. APT à l'inverse ne paie pas les oeuvres, optimisant ainsi la rentabilité de l'investissement, et fait porter la spéculation sur un très grand nombre d'artistes, ce qui statistiquement fait tendre le risque d'échec vers zéro."
Un coup de génie capitaliste
Sur les 1 347 artistes qu'APT comptabilise déjà, il est en effet plus que probable qu'un pourcentage important atteindra dans quelques années des prix records.
Au-delà de ce coup de génie capitaliste dont les plus fatalistes pourraient s'accommoder, estimant qu'il s'agit là d'un système poussé à l'extrême, d'autres éléments paraissent plus alarmants.
Il existe au coeur d’APT des dizaines de commissaires d’exposition, indépendants ou institutionnels, des rabatteurs qui touchent 150 dollars pour chaque contrat signé.
Certains, comme Eric Mangion, directeur de la Villa Arson, critiquent ce mélange des genres, rappelant "qu'il est dangereux de participer à la valorisation d’artistes avec des fonds publics tout en touchant des dividendes privées.”
Mais c’est surtout la manipulation orchestrée par APT pour légitimer son action qui semble choquante. En effet, les artistes embarqués dans l’aventure ont expliqué leur choix par la confiance qu’ils portaient à l’intermédiaire.
Même chose du côté des commissaires eux-mêmes, qui se sont laissés convaincre parce que certains de leurs confrères prestigieux (comme Hans-Ulrich Obrist qui, même s’il affirme aujourd’hui “ne plus prendre part aux activités d’APT”, figure toujours sur le site d’APT comme membre de l’advisory board) avaient ouvert la voie.
Florence Derieux, directrice du Frac Champagne-Ardenne, explique avoir“accepté d’y participer car, à ce moment-là, je connaissais la majorité des curateurs approchés qui ont suivi, comme moi, le programme curatorial de la fondation De Appel à Amsterdam”.
Ce système pyramidal qui assure le succès colossal d’APT s’applique ainsi d’un bout à l’autre de la chaîne. Comme l’explique Aurélie Voltz, “nous passons ensuite la main à un comité de vente composé d’experts du marché de l’art”. Ce comité devrait prendre le relais en 2011 mais sa composition reste secrète : à ce jour, aucun nom n’a filtré.
Fiscalement et juridiquement localisé loin d'éventuelles poursuites
Autre anomalie du système, les commissions touchées à la source sur chacune des ventes. Estimées à 10 % par APT, elles entament le pourcentage de répartition des bénéfices (qui, rappelons-le, était au départ de 40 % pour l’artiste producteur et 32 % pour la communauté des artistes participants) officiellement affiché par le fonds de pension.
Enfin, hormis un siège à New York et des stocks implantés dans les huit zones géographiques contrôlées par les fonds régionaux, APT est fiscalement et juridiquement localisé aux îles Vierges britanniques – paradis off shore pour banques, fonds de pension et autres trusts –, ce qui le met à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires.
L’artiste libanais Walid Raad, qui mène une enquête approfondie sur ce système “d’une rare opacité”, pointe son organigramme :
“Parmi les membres fondateurs, on trouve Dan Galaï, un véritable gourou en matière de gestion des risques.”
D’ici quelques années, une fois atteint le chiffre de 250 artistes par succursale, APT fermera ses huit antennes. Avec ses 2 000 artistes et ses 40 000 oeuvres (pour un montant de 120 millions de dollars), il se retrouvera à la tête de la plus grosse collection d’art contemporain au monde. Un joli coup de filet pour une petite entreprise que son fondateur, David Ross, définit comme un “microrouage dans le vaste et complexe système du marché de l’art international”.
Claire Moulène
Lien de APT Global sur Claire Fontaine et leur souscription à celui-ci :
Je renvoie aussi à deux excellents articles de Tristan Trémeau, critique, historien d’art et commissaire d’exposition concernant, en autre, APT.
Il me paraissait important de mettre ces éléments à votre disposition.
Valéry Poulet