19/03/2010

Autoconsumation














Valses de caddys, et de fauteuils percutions de barils, bottes aux martèlements martiaux, carabines rotatives, perceuses affolées, voitures qui hoquètent, affaissements de néons…
Autant de propositions aux aspects inoffensifs et qui inviteraient au jeu…
Mais si les objets les plus quotidiens de notre environnement devenaient autonomes, se passaient de nous ? Et si ces jeux innocents étaient notre cauchemard ?

Donc avec Délphine Reist, nous pénétrons dans un monde fait d’objets fous aux mécaniques autonomes et incontrôlables… Passifs face à eux, la maitrise de ces objets nous échappe, ils ne répondent pas à nos injonctions, ils se jouent de notre contrôle, par leurs emballements, par leurs mises en route aléatoires… nous ne sommes pas exclus mais placés comme devant un fait accompli face à ces mécaniques, dérivant dans leurs conduites incohérentes, tels des bateaux ivres… Là se révèle très vite la dimension politique des oeuvres de Delphine Reist qui nous emmène dans un premier temps vers le sens d’une révolte des objets que nous produisons… Ne faut-il y voir une lecture métaphorique de l’affolement de notre monde, lâché en roue libre sans pilote dans l’avion ? Le monde de JG Ballard n’est pas loin non plus, prothèses attachées à nos corps et nous rend esclaves. Marcher au pas comme ces bottes en caoutchouc qui s’animent seules sur des airs militaires…

http://video.fc2.com/content.php?kobj_up_id=20080603uNaLGweK


Innocence ? plus vraiment.
Le choix des lieux ; le plus souvent des friches industrielles, des parkings, en priorité des lieux non-institutionalisés ou l’espace d’une galerie y participe aussi car les objets animés se heurtent à des murs, murs de l’institution ? L’intention est de s’adresser à tous, à rechercher un public qui ne soient pas des « happy few ». Le propos n’est pas de juger de l' efficacité ou non mais de tenter de relever en quels termes et moyens sa démarche est politique.


Delphine Reist

La première évidence qui frappe l’esprit et les yeux face à ses travaux tirant partie et triturant des objets manufacturés tels que outils ou ustensiles usuels, ce sont ces évidentes filiations avec Marcel Duchamp et ses ready-mades. A sa machine-célibataire aussi, concept qui alimenta le mouvement Dada avec ces séries de mécanismes à la recherche d’un mouvement perpétuel impossible, une quête insensée à la limite de l’absurde…Picabia avec sa « Fille née sans mère » par exemple… Tinguely ou Roman Signer sont également proches.

« Surfaces d'enregistrement, corps sans organes (...) l'essentiel est l'établissement d'une surface enchantée d'inscription ou d'enregistrement qui s'attribue toutes les forces productives et les organes de production, et qui agit comme quasi-cause en leur communiquant le mouvement apparent », telle est la définition que donnent Deleuze et Guattari des machines-célibataires.



« Fille née sans mère » Francis Picabia


Les machines-célibataires en appellent à une forme d’érotisation mécanisée, comme il y a rapport certain à la mort dans les dispositifs de Tinguely, « l’hommage à New-York » est exemplaire en ce sens, machinerie qui ira jusqu’à son auto-destruction par une série d’événements en chaîne… Mac Luhan soulève la théorie que nous ne sommes à l’instar des abeilles avec les fleurs que les appareils génitaux des objets… Cette idée rejoint le concept de cette machine célibataire qui s’auto-érotise.



Delphine Reist


Cette forte potentialité érotique et obituaire -les liens entre érotisme et mort ne sont plus à prouver- prend toute sa place chez Delphine Reist, dans tout le travail important sur les fluides qu’elle entreprend aussi.
Fluides, comme liquides séminaux, fluides comme circulation, échange ou vase clos…
Les éléments constitutifs de ces fluides utilisés par Delphine Reist sont le plus généralement de l’huile de vidange,. Matières-marchandises recyclées ad libitum, ce que nous montre Delphine Reist Politique des fluides comme métaphore de la circulation des marchandises souvent fabriquées dans des usines délocalisées, d’où aussi cette insistance pour Delphine Reist d’exposer dans des friches industrielles, lieux symbolique d’une industrie défunte…





Delphine Reist

« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s’annonce comme une immense accumulation de marchandises. L’analyse de la marchandise, forme élémentaire de cette richesse, sera par conséquent le point de départ de nos recherches » Karl Marx

Marchandises, objets, fluides, circulations… Elle n’est pas non plus éloignée du travail d’un Gianni Motti quand celui-ci joue sur la notion de valeur d’usage et valeur d’échange avec les billets de banque. Il expose les moyens de notre consommation, l'argent, fluide souvent virtuel et lui aussi fétichisé, dans les galeries…



Gianni Motti

Delphine Reist nous parle à sa manière de la fétichisation de la marchandise, de la pulsion érotique qui s’empare de nous face aux objets… Mais d’une pulsion morbide, une érotisation sans objet, un onanisme sans plaisir, quasi-hygiéniste… La grande force du libéralisme étant de jouer de la frustration et de créer par son mode de fonctionnement les conditions d’une érotisation onanisée, réifiée et solitaire. Finalement, ces caddys, ces chaises qui s’agitent, nous montrent la vacuité de ce système économique… Mais pointe aussi notre absence. Et en cela propose une résistance politique dans ses œuvres.


Delphine Reist

Nulle présence humaine chez Delphine Reist. Cette présence-absence hante chacun de ses travaux, le vide d’une friche industrielle, comme le vide d’une chaise Le travail de Delphine Reist creuse la métaphore du corps absent, d’un corps dont seules restent les prothèses, d’un corps désérotisé, d’un corps dépossèdé…
Delphine Reist nous pose alors la question : quelles sont ces machines célibataire, la marchandise ou nous ?