Oscillant entre intime et documentaire, les photographies de la série Biélorussie, Retour vers l’inconnu expriment avec beaucoup de justesse et de pudeur le sentiment d’exil que ressent Kirill Smolyakov, jeune photographe biélorusse vivant au Royaume-unis depuis quelques années.
« Je n’ai pas pu rentrer en Biélorussie pendant trois ans. J’étais un homme sans pays et sans famille. J’avais l’impression d’avoir perdu mes racines… L’été dernier, je suis rentré au pays et j’y ai réalisé que je ne lui appartiens plus, je suis revenu vers l’inconnu… »
« J’ai photographié des personnages et des lieux qui me sont à la fois proches mais en même temps aujourd’hui si distants »
Kirill Smolyakov
Des portraits de jeunes justes au sortir de l’adolescence, des natures mortes, des scènes du quotidien… Simples, sans spectaculaire, presque anodines au premier abord, mais qui se révèlent porteuse de toute cette distance parcourue par Kirill Smolyakov.
A la vision de ces jeunes saisis dans la banalité de leurs quotidiens, Larry Clarke nous vient avec trop d’évidence à l’esprit : un jeune couple nu allongé dans un lit après l’amour, plongé dans une semi-pénombre, ou alors un autre couple assis sur la banquette arrière d’une voiture…
Mêmes moues encore enfantines, mêmes visages blêmes et marqués d’avoir déjà trop vécus.
Mais très vite, cette impression s’estompe et laisse place à la mélancolie, à un Je-ne-sais quoi d’élégiaque. Kirill Smolyakov porte un regard d’une infinie douceur sur ses personnages. Le choix d’utiliser la couleur dédramatise ces portraits.
Les couples semblent absents l’un à l’autre malgré la proximité physique. Les regards sont ailleurs, ne se croisent pas, se fuient presque.
Dans « Tea break » par exemple, le garçon fume une cigarette accoudé à une fenêtre ouverte sur la campagne. Son regard se perd au loin. Une fille passe devant lui une tasse à la main. Les deux regards, leurs deux corps s’opposent.
Le garçon n’est déjà plus là. Ses pensées sont tournées vers cette fenêtre ouverte sur un hors-champ qui pourrait être l’espoir d’une vie ailleurs, le Royaume-unis ? La fille est en contre-jour, déjà un souvenir, elle ne le retiendra pas.
Avec « Kremlevy », un garçon, torse nu, tient serré contre lui une fille à l’arrière d’une voiture. Elle porte une chemise trop grande pour elle. Celle du garçon ? Bien que blottis l’un contre l’autre, chacun est dans son monde, leurs regards se perdent une fois encore vers un point hors-champ situé devant eux. Là, contrairement à « Tea break », pas d’ouverture vers l’extérieur.
Ces deux photographies se répondent, d’un côté, une ouverture – la fenêtre – et une séparation, de l’autre, un couple enlacé mais un monde clos. « Kremlevy » préfigure la séparation qui semble effective avec « Tea break »
Le rapport intime avec les sujets de ces deux photographies s’exprime par la grande proximité que Kirill Smolyakov entretient avec eux.
Une proximité physique ; dans « Tea break », le photographe se trouve à l’intérieur de la pièce ; dans « Kremlevy », c’est ce qu’on appelle la « place du mort » qu’il occupe.
Une proximité relationnelle : amis, famille ? la question reste ouverte. Cette proximité relationnelle explique aussi la relative indifférence des sujets à la présence du photographe.
Cette relative indifférence crée aussi une mise à distance entre le photographe et ses sujets. Entre Kirill Smolyakov et son pays.
Est-ce sa propre adolescence pas si lointaine que cherche à mettre en scène le photographe ? Une jeunesse pas si lointaine : Kirill Smolyakov est né en 1983.
« Fish »
Les natures mortes, elles, renvoient au quotidien ; des poissons fumés, une bière du pain noir, du lait. Des repas d’enfance, des choses simples, rustiques. Ces aliments sont mis en relief par les choix de profondeur de champ, rien ne transparait ou presque de ce qu’il y a autour. A peine devine-t-on une cuisine dans l’une.
Ces natures mortes renvoient aussi à des sensations perdues de la jeunesse, les odeurs de cafés, les repas familiaux… Fonctionnent comme des réminiscences… Comme les vestiges lointains de la mémoire...
« L’été dernier, je suis rentré au pays, et j’y ai réalisé que je ne lui appartenais plus, je suis revenu vers l’inconnu. Maintenant je me rends compte que tout cela fait partie de mon choix »