04/03/2010

Cette solide fragilité des choses















Prendre la partie pour le tout, se jouer du temps, des volumes, des masses… Linda Sanchez tisse des fils d’Ariane entre toutes ces propositions et nous transporte dans son univers poétique…


Partir de rien et en jouer, contredire des matières fragiles, provoquer des accidents sans se départir d’humour, voilà ce que nous propose Linda Sanchez. Elle s’empare du réel, du quotidien, va y glaner les éléments qui nourrissent son travail et nous restitue ce réel, ce quotidien de façon détournée et ludique.
En effet, Linda Sanchez crée et provoque des situations insolites, inédites, par de curieux carambolages qui donnent à réfléchir sur la nature des choses qui nous entourent, de ce que nous faisons… A l’instar peut-être d’un Francis Ponge dans « Le parti-pris des choses ».




Ruminant, 2006.
Credit photo B. Adillon.



Les objets qu’elle trouve donc sur son terrain de chasse favori - notre quotidien- sont des emballages de chewing-gum, du papier et un crayon, un bocal et des poissons rouges. Leurs usages en sont détournés ou réappropriés comme autant de Ready-made.

Elle s’empare aussi de matières comme par exemple de la purée de pomme de terre avec laquelle elle façonne de précaires châteaux comme dans « En attendant que ca refroidisse » ou encore le bois. Dans la vidéo "30 centimètres » sont présentées les tranches scannés d’un tronc d’arbre. Celui-ci a été poncé sur 30 centimètres et Linda Sanchez a réalisé 3 000 scans de ces tours de ponçage. Chaque scan servant aussi à la conception d’un livre. Retour inattendu du bois dans un objet dont la matière est précisément faite avec de la pate de bois. Et où le livre serait une buche ! Linda Sanchez ne cesse ainsi de surfer sur les métonymies.
Les titres et les mots jouent pleinement dans les œuvres de Linda Sanchez. Ainsi dans une superbe série de dessins, réalisés avec une grande finesse et une grande sobriété associent chacun d’entre eux à un verbe comme par exemple « prendre », « continuer » …


En attendant que ça refroidisse, 2006.
Credit photo B. Adillon.


Que ce soit la purée ou le bois, Linda Sanchez provoque toujours une confrontation poétique : ce château précaire renvoie à notre enfance, à ces volcans façonnés et creusés au centre afin de recueillir la sauce qui relèvera le plat. Le stylo est posé sur une feuille perpendiculaire à un mur… Ces détournements ne sont jamais dénués d’humour et pourrait évoquer Magritte comme dans « Ceci n’est pas une pipe ».


Mais, de ces jeux d’oppositions et d’associations a priori innocents, une autre dimension surgit, celle du temps, de la précarité de choses, de l’éphémère…
Ce tronc d’arbre poncé sur trente centimètres est alors réduit en poussière, les veines qui datent l’arbre évoquent alors notre propre sort… Le château de purée finira bientôt par s’écrouler, fondre ou alors par être mangé…

De même, cette installation « Débattre la mesure » faite de petites horloges est un travail bien évidemment qui réfère au temps : le temps qui passe, mais aussi le temps de l’observation, le temps de la patience. Cette installation confère une place importante au hasard, à l’aléatoire. En effet, par le jeu des aiguilles, ces horloges se déplacent de façon non contrôlées et non simultanées. Observer ce phénomène implique de lâcher une part de son temps et piège notre regard dans l’attente de cette agitation. Mais quelques fois la chance permet de voir une horloge, ou deux ou trois s’agiter sans avoir à attendre…




Débattre la mesure, 2007.
Crédit photo B.Adillon


Cette dimension du temps qui passe, offre une lecture peut-être plus amère de une vidéo proposée par Linda Sanchez. Une vidéo passée en boucle dans laquelle une mouche semble emprisonnée dans l’écran du moniteur. Elle ne cesse de voler et vient régulièrement se cogner contre les parois notamment la surface de l’écran… Là aussi le vol est hasardeux… Aspect absurde et tragique d’un enfermement, d’un comportement répétitif et incohérent. Le montage en boucle de cette vidéo fait-il écho au nécessaire remontage des aiguilles des horloges afin qu’elles perpétuent leurs déplacements ?



« A la pêche ». Crédit photo B. Adillon


Cette réflexion sur la matière, sa texture et cette réflexion sur le temps vient trouver son aboutissement dans cette magnifique pièce intitulée « A la pêche » Des toiles d’araignées jointes entre elles par du fil de pêche viennent composer cette pièce, des toiles patiemment recueillies par Linda Sanchez. Elles viennent dessiner un réseau de mailles dans lesquels se sont pris des moucherons… Ces toiles nous prennent au piège de leurs légèretés et s’avèrent plus solides qu’il n’y parait et pourtant le moindre souffle qui vient les effleurer provoque un mouvement, une fibrillation. Cette pièce apparaît comme un véritable dessin… Relevé topographique, piège à rêves indien, qu’importe… Linda Sanchez nous laisse libre…