Drôle
d’aventure que celle de Thierry Verbeke où, sur par simple fait d’une information
tronquée, par un journaliste en quête de papier, se retrouve piégé dans les rets
nauséabonds et pestilentiels de certains
politiques.
Tout art est politique car faisant partie prenante de la
cité. Des bustes aux effigies des monarques, aux actions de certains
« happening », l’histoire de l’art en fait foi. L’art ne survole pas
notre monde des régions éthérées de l’Olympe mais vient mettre les mains dans
le cambouis pas toujours reluisant de notre monde !
Le travail de Thierry Verbeke est évidemment politique, dans le
sens noble, bien évidemment, car il autopsie cette cité vient en pointer les
hiatus, ses rapports!
Les démêlées de Thierry Verbeke, avec sa pièce « Miss
burqa » devient le nœud gordien dans lequel sont venus s’entremêler des
intentions politicardes les plus basses, où comme toujours, l’art en fait les
frais, et se trouve jeté à la vindicte populaire.
Acte 1 : Suite à une subvention manquante, le défilé du 32
mars qui devait accueillir « Miss burqa », la géante du projet «
aujourd’hui c’est permis » a préféré annuler le défilé. La presse a relaté le
non événement, en parlant d’interdiction de la part de la Mairie de Roubaix.
Notre fameux journaliste possède la déontologie bien accrochée au bout de
sa plume.
Acte 2 : Un nouveau personnage, Sébastien Leprêtre, maire UMP de La Madeleine,
banlieue de lille s’étonne de l’aide à la création perçue pour ce projet et
affirme qu’il s’agit d’une « véritable provocation ». Il jette son anathème sur
l’art contemporain. Ce même Leprêtre, auteur, soit dit en passant, d’une loi
anti- mendicité dans sa commune. Qu’aurait-il fait de la subvention, lutter
contre la pauvreté ? Chez lui, on ne serait les voir : l’art du Moucharabieh,
l’art de la Burqa, finalement….
Acte 3 : suite à la publication du montant de 8000 euros de
l’aide à la création, la vindicte populaire se déchaîne dans les courriers des
lecteurs et sur les blogs. Il est à noter la même haine pour l’art contemporain,
chez les champions de la laïcité et les islamophobes.
Acte 4 : l’affaire devient politique, les élus avouent qu’ils
votent parfois les délibérations sans avoir pris connaissance de leur contenu.
Acte 5 : Re vindicte populaire, à l’égard cette fois-ci des
élus accusés de dilapider l’argent public dans des œuvres d’art qui n’en sont
pas. Des élus sont-ils habilités à juger de l’art ? N’est pas Laurent de
Médicis qui veut !
Beaucoup de bruit pour rien ? Hélas, non, cette affaire
relève de plusieurs ordres. Un journalisme en quête de sensationnel pour vendre, des élus, le plus
souvent ignares et conservateurs qui eux ne dilapident pas l’argent. Ils
gagnent du temps et comme le temps c’est de l’argent, ils ne lisent pas les
dossiers. Et la vox populi vient se repaisser sur un artiste qui faisait
simplement son boulot.
Mais le mieux est de laisser la parole à l’artiste :
« Depuis la fin des années 90, je développe un travail qui
recycle, détourne et interroge les images des médias. Ce questionnement
recouvre l'image, d'information, de publicité, de communication officielle lors
de conflit, de communication politique, du monde du travail... Il y a un an de
cela, j’ai obtenu du conseil régional du nord, une aide à la création pour le
projet baptisé « aujourd’hui c’est permis ». Il s’agissait de faire construire
par un artisan spécialisé, un géant portant une burqa.
À l’origine du projet il y a eu la découverte du texte de loi
Belge « anti burqa »qui a précédé le texte Français de quelques mois. Daniel
Bacquelaine, député bourgmestre du Mouvement réformateur à l'origine du texte
précisait à l’époque que les maires auraient la faculté de suspendre la loi
lors de festivités comme le carnaval. Il ne s’agissait pas bien sûr d’autoriser
la burqa lors de ces périodes mais de préserver un folklore local.
Rappelons que le carnaval et ses géants sont dans le nord de la
France et en Belgique une véritable institution. Les géants représentent un
groupe, une ville ou une légende locale. Ils sont en tout cas totalement ancrés
dans le territoire. Si la haute stature du géant peut faire peur, il représente
malgré tout une fierté pour les habitants, qui trouvent en lui un ambassadeur
de «taille».
En prenant connaissance du texte de loi, j’ai donc décidé de
m’insérer dans cette brèche en réalisant un géant en burqa et d’intituler le
projet « aujourd’hui c’est permis ». Je souhaitais bien sur insister sur
l’hypocrisie de la loi qui ne nomme pas spécifiquement la burqa pour éviter
d’être déclarée anticonstitutionnelle. Je voulais également dénoncer une loi
votée à des fins politiques. Cette loi a été créée à mon sens à des fins
purement électoralistes au moment où il s’agissait pour le pouvoir en place de
créer l’illusion d’un gouvernement en action. Outre le fait que seule une très
faible minorité de femmes soit concernée, l’interdiction d’un type
d’habillement est pour moi un débat surréaliste. Surréaliste au même titre que
la justification couramment entendue : « le port de la burqa n’est pas une
prescription religieuse inscrite dans le coran ». Quand bien même le coran
indiquerait que les femmes sont obligées de porter ce costume, l’injonction en
serait-elle plus acceptable pour autant ?
Alors oui, c’est vrai, la burqa masque le corps et enferme celle
qui la porte. Pour autant, la loi n’est pas fondée par une intention
émancipatrice, puisqu’elle fait des femmes, des « criminelles » sujettes à
l’amende. C’est pourquoi, je pense qu’il peut exister une voie médiane et qu’il
n’y a pas de contradiction à s’insurger à la fois contre le port de la burqa
dans l’espace public et dans le même temps contre la loi qui prohibe ce type de
vêtement.
En réalisant ce travail, je ne souhaitais donc pas faire de
prosélytisme, ni une caricature « à la Charlie Hebdo », mon ambition était de
faire cohabiter dans un même espace-temps, celui de la fête, deux figures au
premier regard opposées. Si elles sont en apparence très distinctes dans leur
symbolique, la burqa et la figure du géant présentent des ressemblances
formelles, notamment celle de la grille à travers laquelle le porteur regarde
pour pouvoir se déplacer. Deux grilles donc pour mon géant, une devant les yeux
et une au niveau du bas-ventre commune à tous les géants, souvent perçu par
ceux qui ne connaissent pas cette tradition comme une allusion sexuelle. L’utilisation
de cette méconnaissance de la fonctionnalité de la grille rendait inopérant
l’effacement de tout caractère sexuel induit par le port de la burqa.
Cette
grille parfois recouverte d’une mousseline pour éviter que le porteur ne soit
importuné par des jets de confettis était laissée telle quelle pour que on
puisse apercevoir le porteur à travers l’ouverture. Nous avons donc ici un
homme qui est symboliquement revêtu d’un costume destiné à cacher le corps des
femmes. Cette « inversion » nous renvoie à l’histoire même du
carnaval. Rappelons qu’à l’origine, ces fêtes se rattachaient aux
traditions religieuses de la plus haute Antiquité. Elles célébraient le
commencement de l’an nouveau et le réveil de la nature. Pendant quelques jours,
les esclaves devenaient les maîtres, les maîtres prenaient la place des
esclaves, les servant à table par exemple : devenait permis ce qui était
habituellement interdit.
Le carnaval revêt encore aujourd’hui une dimension de
contestation sociale, dissimulée par le mode de la dérision sur lequel il se
déroule. Le carnaval est ainsi l’expression d’un désordre, canalisé,
temporairement autorisé car déployé sur une courte temporalité particulièrement
encadrée. Ce désordre maîtrisé, lieu de débordements de tous ordres est particulièrement
salvateur, dans une société où les expressions corporelles, cultu(r)elles
dissonantes sont de plus en plus perçues comme dangereuses pour la cohésion
sociale. »
Thierry Verbeke et Valéry Poulet