MICHEL
MAZZONI : L’AXIOME DE LA POSE B ?
Axiome de la pose B, titre énigmatique,
loin s’en faut, pour les néophytes de la
photographie. Pourtant cette pose B permet de prolonger le temps de pose sur un
appareil photographique et prolonger ce temps de pose, implique beaucoup de
choses, de faire des prises de vues avec des conditions de lumières réduites,
ou par effet inverse de surexposer totalement la prise de vue. Mais l’une de ses vertus
principales : capturer du temps…
Michel Mazzoni, photographe de la galerie
Anyspace, travaille le temps mais aussi l’espace. Ses outils, essentiellement l’argentique (chambre 4x5 et moyen
format), qu’il privilégie pour sa souplesse au numérique. Le
numérique est uniquement utilisé pour ses travaux vidéo. Une quête à
l’imperceptible, à ce mouvement du temps que nous ne pouvons pas percevoir. Michel Mazzoni s’attache aussi à l’indifférence, à l’abandon, aux zones laissées pour compte
par l’homme qui, elles aussi subissent insensiblement cette lente érosion.
En effet, tout lieu, tout site, participe
d’un principe d’entropie, voué à une disparition, à une autodissolution. Lieux
construits puis abandonnés, paysages inscrits dans la nature (montagnes,
neiges…) Des lieux qui ne cessent de changer, de se moduler. Une lutte s’impose
alors entre le photographe, une lutte contre le temps mais aussi les espaces.
« Ce qui me permet d'introduire la notion de temps, une
spacio-temporalité en suspens dans des paysages « futurs » (qui
pourraient appartenir à la science-fiction) mais qui paradoxalement évoluent
vers un passé quasi préhistorique. Comme disait Nabokov, la modernité
c'est l'obsolète inversé. »
Michel Mazzoni
Un
« Ce quelque chose que nous percevons, que nous sentons, mais qui nous
échappe »
Mazzoni
fait sien un travail sur la lumière. Sous-exposition, surexposition se
confrontent, se complètent, entament un dialogue qui n’a de cesse de perturber
notre vision. Ces travaux sur la matière photographique sont évidemment
volontaires, ils s’effectuent, selon les conditions, pendant la prise de vue
et/ou pendant le travail de laboratoire, de scan de l’image. Ce travail sur la
lumière semble venir se dresser un infime voile entre le regardeur et l’objet
photographique, instaurer une séparation et vient non pas occlure mais
perturber ce sentiment océanique. Ce léger filtre dressé entre nous et la
photographie, pose donc un espace, se déjoue de la planéité créant par cet
espace une profondeur comme ces photographies aériennes qui écrasent au sol
tout relief et par là, reprend le modèle du plan d’architecture.
Anabase + 2Prints BW & Color, 142 x 180 cm matte paper mounted on aluminium courtesy@anyspace Gallery, Brussel |
Mazzoni n’utilise que rarement le point de fuite
pour jouer de la profondeur. Nous avons le plus souvent à faire à des
« All Over » dans une grande partie de son travail. Et son travail
sur la lumière vient y participer, il force l’œil à franchir ce voile. Ce
passage s’effectue aussi par cette faculté de rémanescence rétinienne. Peu à
peu, de l’épaisseur du voile, des détails, des formes imperceptibles se
précisent. L’observation s’affine et vient saisir ces formes, des dégradés se
forment dans les traitements, a priori monochromes.
Mais la règle fait forcément exception. Dans des séries récentes
comme « WEIGHTLESSNESS», le photographe joue sciemment de la
perspective mais dans des lieux clos, et d’une forte opposition entre le
noir et le blanc, surexposition marquée dans une pièce lisse et immaculée, et
densité qui confine à la claustrophobie dans un couloir d'immeuble.
Matières….
Ce
qui surprend dans certaines séries, c’est l’omniprésence de la matière,
notamment dans « The sun will return ». La plupart de ces
photographies sont prises en poses longues. L’environnement aussi joue pour
beaucoup dans ce matiérage. Nuages qui se déplacent, épais brouillards viennent
renforcer une consistance quasi palpable des photographies. Michel Mazzoni
travaille sur la lumière mais aussi sur la densité des choses, une impression
de pesanteur émane généralement de ses séries. Une pesanteur qui pourtant,
confine à l’abstraction et au voile évoqué précédemment. Situation
paradoxale ? Pas tant que cela, dans certaines séries, la texture
photographiée prend la forme d’éther, le brouillard ou les nuages, par exemple…
Le principe d’entropie, d’érosion prend figure d’infinitésimale temporalité,
impalpable. Tous ces éléments sont matières, et donc pesanteur. Michel Mazzoni
nous donne à réfléchir, à penser sur ce paradoxe. L’un de ses credos, la
science-fiction, non pas une science-fiction aux phénomènes spectaculaires…
Mais ici, plutôt à Stalker de Tarkovski ou encore aux décors déserts des
films d’Antonioni, paysages urbains quasi irréels dans lesquels se meuvent ses
personnages.
Anabase + 2
Prints BW & Color, 142 x 180 cm matte paper mounted on aluminium
courtesy@anyspace gallery, Brussel
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« La
science-fiction ne sert qu’à permettre d’imaginer un lieu et une époque où le
miracle moral peut s’accomplir ; celle-ci caractérise aussi la conscience
de notre époque, laquelle ne peut croire qu’en un miracle technique,
c’est-à-dire rationalisé. Nous rencontrons une contradiction : l’esprit
scientifique admet le besoin constant de miracle et crée une espèce de religion
ou de mythologie, mais veut aussi rationaliser le miracle et lui ravir son sens
originel ; ainsi le besoin de miracle, propre à l’homme, à la créature
imparfaite, se trouve étouffé. » Bàlint Andràs Kovacs et Akos Szilàgyi in Les
mondes d’Andrei Tarkovski
Les
espaces, le temps et les hommes
Zones
désertiques, steppes, montagnes s’opposent, sont des territoires hostiles à la
présence de l’homme et le restituent à sa place : celle d’entité
négligeable dans l’univers.
« Deleuze les
définissait comme des espaces lisses de pure connexion. Ce sont pour moi des
panoramas zéro, proche de l'abstraction » Michel Mazzoni
In the spacecraft / print on photo rag 130 x 160 cm framed, or Ink-Jet Print on Blue Back Paper, dimensions according to the space,
courtesy@anyspace gallery
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L’une des interrogations posées par Michel
Mazzoni, dans ces photographies, dans ces lieux, est donc la place de l’homme.
Le photographe ne joue pas d’une dualité homme contre-nature, il reste sur un
plan d’immanence. Dans nombre de ses photographies, sa trace reste présente,
par indices, résidus ou par l’architecture… Elle est signifiée par l’entropie
elle-même, se piste par abandons successifs de lieux autrefois fréquentés par
la présence humaine. Lieux délaissés et livrés à l’épreuve du temps ? Le
vecteur temps revêt une grande importance dans le travail de Michel Mazzoni. Il
capte cette illusion de l’immuabilité des choses et en dévoile l’impermanence,
d’où aussi nombres de photographies aux poses longues, tentatives de saisir
cette impermanence, incommensurable…
« Jamais
un temps ne passerait, s’il n’était passé (en même temps) que présent »
Gilles
Deleuze in Différence et répétition
Cette
fameuse pose B qui porte, en elle, le passé, le présent et l’avenir….
Valéry Poulet
pour performArt août 2012