Mehdi-Georges
Lahlou présente à la MAAC à Bruxelles ses derniers travaux. Il creuse pour qui ne
connait pas son travail, le sillon de la multiculturalité, par le prisme, entre
autre de l’auto représentation et de l’iconographie religieuse et ce, avec
beaucoup de ludique insolence. Mais cette effronterie de façade relève d’une
réflexion plus profonde sur les fondements de son acte artistique.
Imaginons un arc de cercle qui
partirait de la terre vers le ciel et reviendrait reprendre ses bases sur cette
terre…. Nous pouvons envisager le travail de Mehdi-Georges Lahlou à l’aune de
cette figure. La figure de l’arc de cercle mais aussi celle du Salto, l’artiste
fut danseur notamment pour La Ribot, la danse fut d’abord, tentative
d’élévation, tentative de vaincre la pesanteur, de s’arracher au sol.
L’artiste, dans ses œuvres, semble entretenir un rapport dialectique profond
avec ce principe d’élévation et de retour à la pesanteur terrestre.
Créature pour Chaman, courtesy@Galerie Dix9 |
Reprenons les thématiques
présentés par Mehdi-Georges Lahlou à leurs départs : la multiculturalité, plus précisément les cultures musulmanes et
chrétiennes dont il est issu, l’autre et l’image de soi. L’artiste ne cesse
d’opérer par glissements, par analogies, par croisements, à l’exemple de la
série " Créature pour Chaman", hommage à Pierre Molinier qui reprend les photographies de
celui-ci pour les réinterpréter, à la place du travestissement, du fétichisme
qui constitue l’essentiel de l’œuvre de Molinier, fétichisme de la résille,
Mehdi-Georges Lahlou y substitue le Niqab qui devient à son tour un objet
fétichisé et avec lequel l’artiste joue en se mettant en scène, en se
travestissant, autre exemple les 72 vierges, qui font référence à la vision
coranique du Paradis mais renvoie aussi à l’iconographie chrétienne, nous y
reviendrons. Ainsi qu’avec les séries de Madones à l’Enfant, Mehdi-Georges
Lahlou puise donc dans ce qui fait notre fond culturel occidental et le confronte
avec celui du monde musulman.
"Madone", courtesy@MAAC Bruxelles |
UN
MADJOUB CONTEMPORAIN ?
Qu’est-ce qu’un « Madjoub » ?
Le nom vient du saint soufi Abd Rahman Al Madjoub qui vécut au 16ème
siècle au Maroc. Par extention, cette appellation fut donnée aux fous de Dieu
s’inscrivant dans la philosophie Soufi et donc souvent considérée comme
hétérodoxe par l’Islam officiel, qui pour certains, à l’instar des gnostiques,
se jouaient et prenaient le contre-pied des enseignements orthodoxes de
l’Islam.
Certes l’artiste joue dans un
premier temps des décalages et de son « background » culturel mais se
faisant, il pousse la réflexion plus avant et avancer le fait que Mehdi-Georges
Lahlou serait à l’égal un madjoub contemporain n’est peut-être pas une idée
farfelue. Attention, il ne s’agit pas de faire de l’artiste un mystique !
"Equilibre au vase", courtesy@MAAC Bruxelles |
Revenons à l’image de l’arc de
cercle, évoquée pour transcrire le travail de l’artiste. Chez Mehdi-Georges
Lahlou, une constante frappe, son rapport avec la légèreté et la pesanteur. Ce
rapport se retrouve dans nombre de ses œuvres, ainsi dans
« Equilibre au vase » où la tête d’un homme supporte un énorme vase sur la
tête. Cette pièce nous offre différents degrés de lectures, l’on peut y voir le
poids de notre propre culture qui pèse sur nous comme un lourd fardeau mais le
titre de l’œuvre nous renvoie à une conception plus aérienne, plus apaisée, et
ne renverrait-elle pas plutôt à une forme transcendante, où la culture
s’allège ? De même, dans la série « Créature pour Chaman », les visages
masqués semblent flotter dans le fond noir qui constitue la base de cette série
photographique, en appellent à un état pris entre ciel et terre, l’état des
derviches tourneurs, qui dansent dans une ronde vertigineuse, reliant de leurs
doigts la terre au ciel, servant d’intercesseur. Mais cet équilibre, cette
posture peut parfois devenir instable ou peu aisée comme nous le rappelle la
vidéo "Marche de 30 km en chaussures à talons entre 2 lieux d'art, 2009" où l’on voit Mehdi-Georges Lahlou arpenter les
trottoirs d’une rue avec des chaussures à talons aiguille. Encore une tentative
d’élévation…. Mais selon cette logique dialectique, cet arc de cercle qui va de
la terre vers le ciel et retourne à la terre, Mehdi-Georges Lahlou prône le
Paradis ici et maintenant ! Son installation « 72 vierges » pourrait
faire force de preuve ! Cette œuvre fait référence aux Houris promises aux
croyants méritants dans le Paradis d’Allah et l’artiste joue avec celle-ci sur
une double ambiguïté. Chacun des bustes, immaculé et couvert d’un voile sur la
tête, qui constituent cette installation, sont le moulage du visage de
Mehdi-Georges Lahlou.
"72 vierges", courtesy@MAAC Bruxelles |
L’installation irradie et semble léviter, par cet effet
d’irradiation, juste au-dessus du sol. L’artiste donne en quelque sorte,
incarnation au Paradis d’autant qu’il s’y auto-représente, jouant sur une
ambiguïté présente dans le Coran
« Selon
l'usage classique de l'arabe à
l'époque où Mahomet récita
le Coran, Hur'in est composé
des deux mots « hur » et « in ». Le mot 'hur est
le pluriel des deux formes ahwar (masculine) ethawra (féminine)
qui signifient « aux yeux blancs », ou bien qui désignent des
personnes qui se distinguent par hawar, c'est-à-dire "une intense
blancheur des orbites oculaires et des pupilles d'un noir brillant"8, d'où la pureté. Le second mot, In,
est le pluriel des deux formes ayan (masculine) et ainao (féminine). Ce mot désigne la beauté
des yeux du buffle, qui sont blonds. En général, ce mot implique "les plus
beaux yeux", quel que soit le sexe de la personne. Ainsi, la façon la plus
fidèle de rendre le mot houri en français pourrait être :
« compagnons purs, aux plus beaux yeux », compagnons s'appliquant à la fois à des hommes et
à des femmes. » Source Wikipédia
"Madones", courtesy@MAAC Bruxelles |
Le fait de se représenter en
Houri n’est donc pas de l’ordre d’une provocation, mais d’une relecture fine,
d’une réinterprétation fine du texte fondateur de la religion musulmane et l’on
retrouve l’idée de travestissement, voire d’androgynie déjà abordée, avec la
série « Créature pour Chaman ». L’artiste apporte son Paradis et fait descendre son
utopie sur Terre. L’artiste devient objet de désir, promis aux croyants. Il
souligne par-là que peut-être l’art est aussi domaine de croyance. La seconde
ambiguïté avec laquelle s’amuse Mehdi-Georges Lahlou concerne le statut de la
Vierge dans la religion chrétienne, c’est par elle que le dieu chrétien sera
incarné et il nous est impossible de ne pas regarder ces Madones à l’aune de «
72 vierges » Cette idée de paradis, ici et maintenant, dans sa série
de « Madones à l’Enfant » tendrait à s’en trouver renforcée ! Pour
Mehdi-Georges Lahlou, la légèreté, le Paradis, dans le sens noble, est de notre
monde et n’appartient pas au monde religieux. L’artiste nous l’offre, il ne
reste juste qu’à le saisir !
Mehdi-Georges Lahlou n’est pas si
loin d’une posture similaire à Mansour Al Halladj, disciple du soufisme mort
supplicié au 10ème siècle pour avoir déclaré « Je suis la
vérité » ce qui revient à dire en Islam « Je suis Dieu »…
par Valéry Poulet
Mehdi-Georges Lahlou
"Walking to Lahloutopia"
jusqu'au 18 novembre 2012
MAAC Bruxelles
26,28 rue des Chartreux
1000 Bruxelles