L’exposition "Ruin of now" d’Arnaud Cohen relève d’une
dimension indéniablement politique. Ce politique, plutôt ce qui touche le
politique, dans le sens moderne du terme, implique des notions de pouvoir, souvent souterrains d'où le sous-titre "Une archéologie du contemporain".
Ces potentialités du pouvoir créent une aura de puissance, notamment sexuelle. Des fonds reptiliens de mâle dominant reprennent surface avec le pouvoir. Le pouvoir attribue à celui qui le possède, celui d’être prodigue en sexe. Cette croyance procède de la « mana », de la magie attachée à la hiérarchie du pouvoir.
Cette strate du travail d’Arnaud peut
passer inaperçue derrière le titre de l'exposition. Non pas qu’elle y soit noyée ou gommée, mais parce qu’elle y
est tellement induite qu’elle finit par s’effacer. Alors que cet aspect du
travail d’Arnaud Cohen est indéniablement lié à son œuvre et qu’il est une
composante du système libéral que nous subissons : un système
pornographique, sous toute ses formes.
Revenons à la mise en espace initiale, à
l’extérieur, sur les façades, le regardeur est mis en position de voyeur ;
le côté peep-show, vitrines à prostituées en néons clinquants, la couleur rouge
et bleu électrique, couleurs vives, racoleuses fait tout pour appâter le
client. Il ne reste plus que les prostituées exposées à la vue de tous,
Le fond est opaque, ce qui signifie qu’elles
sont au travail. Mais l’invitation à pénétrer dans le lieu, dépasse notre
vertueuse pudicité et aguiche notre curiosité. Attendre que la porte s’ouvre et
pénétrer dans l’antre. Comme une gondole de supermarché, le sexe est un
business, lucratif, le libéralisme en utilise les mêmes procédés. Arnaud Cohen
ose l’interrogation : l’artiste est-il une pute ? de luxe certes pour
certains mais une pute. Il se vend, non pas son corps, mais il se vend au-delà
de son œuvre ! Il vend son capital symbolique !
arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette |
Le processus post-moderne, la fin de l’histoire
participent de cette invitation à consommer. Internet est le plus grand
pourvoyeur de sexe au monde, une véritable économie, la plus rentable en tout
cas ! Et de surcroit virtuelle, comme les masses d’argent qui s’échangent
virtuellement. Jeff Koons, ex-trader, ce qui n’est pas un hasard, a su tirer
son épingle du jeu poussant le bouchon jusqu’à se mettre en scène avec la
Cicciolina, en de nombreuses positions scabreuses. Il ne s’agit pas ici de
formuler un jugement moral. Il faut savoir appeler un chat, un chat. Comme le
prolétaire vend sa force de production, l’artiste vend la sienne, faisant
l’aguicheuse, ce que démontre en quelque sorte, Arnaud Cohen.
Osons entrer donc malgré l’opacité des
vitrines après avoir vaincu notre timidité première. Notre libido passe par le
phantasme mais se nourrit aussi du scopique : la position du voyeur. A
l’intérieur, que découvrons-nous, d’abord une grande colonne, avec une chèvre à
son sommet, puis deux autres tronçons de la même colonne, en les réunissant ces
vestiges laissés là, se reconstitue une bouteille de coca-cola, qui au-delà du
symbole évident de l’écroulement de l’empire, détient une connotation
explicitement sexuelle par sa forme rappelant le corps d’une femme. Arnaud
Cohen s’en amuse aussi, chaque tronçon est ainsi à l’endroit de la coupure doté d’une fente visible en son centre. Des colonnes vaginalisées ? Un système de canalisation qui irriguerait une partie souterraine dont la chèvre serait la source ?
La confirmation de cette hypothèse viendrait de cette chèvre
qui domine le lieu sur la plus haute des colonnes. Une chèvre ou alors plutôt Amalthée
qui allaita Zeus durant son enfance. Une seconde version, d’après Ovide,
Amalthée, une naïade, fut chargée de nourrir Zeus enfant, avec une chèvre. Un
jour, elle brisa l’une des cornes qui devint la fameuse « Corne
d’abondance ». Une symbolique qui illustre bien notre stade de civilisation où le
libéralisme promet la corne d’abondance pour tous ! Sans bien sûr tenir celle-ci.
Lait, fentes dans les colonnes, phallus
brisé ? Urètre ? Vagin ? Hybridations ou féminin et masculin se
mêlent , Arnaud Cohen nous mène peu à peu vers le séminal, la liquidité,
dans le sens économique mais aussi organique. L'expression "avoir des liquidités", Amalthée, femme-fontaine... Une bouteille de coca, gode gigantesque à l'abandon dans une forêt, corps allongé d'une femme, offert ou sacrifié ?
arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette |
L’artiste guide, tel Virgile, le spectateur-voyeur, plus loin encore, dans les cercles de l'enfer... Une pénétration qui nous mène vers un second espace de
l’exposition, une seconde strate de ce parcours archéologique, un autre cercle...
Les objets posés juste avant de s'enfoncer dans cet espace, renvoient à des références directes ; les pharaons
enterrés avec leurs objets familiers, à certaines civilisations où les
femmes ou concubines étaient sacrifiées pour accompagner leurs époux dans
l’au-delà. Encore là, le rapport étroit entre pouvoir et sexe. Ceux-ci viennent marquer les limites entre un monde visible et un monde occulte.
"Vous qui entrez, laissez toute espérance"
Dante, L'enfer
Cet espace est plongé dans une semi-pénombre: un mausolée mais l'hypothèse d'un espace vaginal pointe. Ne serions-nous pas parvenus au bout de cette fente qui transperce les colonnes sur leurs longueur? L'exploration s'enfonce de l'apparence de la surface à son intimité .
Monde caché, monde intra-utérin. Les fentes de ces colonnes sont reliées à cette seconde strate. Ces vestiges déchus, abandonnés furent-ils alimentés par de mystérieuses échanges de sèves, émanant de ces strates souterraines. "Archéologie du contemporain": métaphore d'une civilisation dont le pouvoir occulte, sans visage, conseils d'administrations, actionnaires anonymes, fécondant, alimentant la surface peuplée d'esclaves consommateurs, et sur lesquels ils exercent un droit de vie et de mort ou de cuissage. Amalthée comme symbolique de l'être exploité mais placé sur un pied d'estal.
Revenons dans ce monde de ténébres...
La liquidité, le séminal se retrouvent, de façon troublantes, avec un mannequin féminin allaitant un autre mannequin, un enfant. Cette opération s’effectue par le truchement d’un tuyau reliant le sein de la femme à la bouche de l’enfant, eux-mêmes implantés de tuyaux dans le crâne. Pas de contact direct, le tuyau relie mais aussi sépare et empêche tout contact physique avec le sein. Zeus, enfant élu, affirmera tout son pouvoir et sa puissance virile plus tard !
Cette sculpture évoque la virtualité de nos rapports sexuels, de nos rapports tout court; circulations de flux invisibles, virtuels, intouchables, des chiffres défilent à Wall Street, à la City, comme d'innombrables spermes ou ovules... Comme des vierges farouches, futurs trophées de Zeus, alors symbole, lui aussi, intouchable, dont le don de sa semence fait de certains d'entres nous des demis-dieux.
De terribles souvenirs émergent ! Cette sculpture nous évoque l’eugénisme, une pureté à préserver dont le résultat sera l'acquisition de la puissance par cette pureté
Qui dit pureté, dit inceste !
Cette strate souterraine, cette archéologie vers laquelle nous renvoie Arnaud Cohen nous renvoie à une histoire récente et tragique, celle du nazisme. En évoquant l’antre d’une machine infernale qui procrée, nourrit, évacue tout principe de plaisir, le choix du mannequin, standard de beauté, de plasticité, d’une époque, nous donne à réfléchir à notre monde qui modélise le corps…
Nous sommes là face un mode de (re)production visant à uniformiser, à cloner, à réifier. Terribles souvenirs trop récents qu’Arnaud Cohen, avec intelligence dispose dans ce sous-sol.
@anonyme |
Revenons dans ce monde de ténébres...
La liquidité, le séminal se retrouvent, de façon troublantes, avec un mannequin féminin allaitant un autre mannequin, un enfant. Cette opération s’effectue par le truchement d’un tuyau reliant le sein de la femme à la bouche de l’enfant, eux-mêmes implantés de tuyaux dans le crâne. Pas de contact direct, le tuyau relie mais aussi sépare et empêche tout contact physique avec le sein. Zeus, enfant élu, affirmera tout son pouvoir et sa puissance virile plus tard !
Cette sculpture évoque la virtualité de nos rapports sexuels, de nos rapports tout court; circulations de flux invisibles, virtuels, intouchables, des chiffres défilent à Wall Street, à la City, comme d'innombrables spermes ou ovules... Comme des vierges farouches, futurs trophées de Zeus, alors symbole, lui aussi, intouchable, dont le don de sa semence fait de certains d'entres nous des demis-dieux.
De terribles souvenirs émergent ! Cette sculpture nous évoque l’eugénisme, une pureté à préserver dont le résultat sera l'acquisition de la puissance par cette pureté
Qui dit pureté, dit inceste !
Cette strate souterraine, cette archéologie vers laquelle nous renvoie Arnaud Cohen nous renvoie à une histoire récente et tragique, celle du nazisme. En évoquant l’antre d’une machine infernale qui procrée, nourrit, évacue tout principe de plaisir, le choix du mannequin, standard de beauté, de plasticité, d’une époque, nous donne à réfléchir à notre monde qui modélise le corps…
Nous sommes là face un mode de (re)production visant à uniformiser, à cloner, à réifier. Terribles souvenirs trop récents qu’Arnaud Cohen, avec intelligence dispose dans ce sous-sol.
arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette |
Ces bustes, demi-dieux mortels, trépanés, des tuyaux sortent de part et d’autre de leurs têtes. Sont-ils coupés de la matrice, sont-ils les témoignages et les vestiges d’une civilisation où la pornographie est tout et le sexe rien ? Ersatz de vie artificielle, asexuée ? Pour toucher, il faut payer, pour voir aussi il faut payer ! Internet le plus grand pourvoyeur de sexe se paie ! Le sexe par procuration, au bout de la carte de crédit que l'on glisse dans une fente, celle-ci est virtuelle Arnaud Cohen nous montre-t-il la mort métaphorisée de la religion libérale dans ce caveau ? Tombeau témoin d’une société où se trame notre mort, où se trame les arcanes du pouvoir libéral que dissèque Arnaud Cohen. Un pouvoir sans visage ! Ironiquement, le ready-made installé au centre, une boite non déballée, une offre combinée de chez Toys'R Us, le best seller du rayon filles de Noël 2010 avec une poupée ménagère, espèce de Blanche-fesse, avec à ses côtés, une cohorte de nains jardins. Ne demanderaient-ils pas qu’à la déflorer ? Elle tient ici le rôle d’une allégorie du capitalisme, qui reprend l’inscription de la vitrine « pour acheter, il faut payer », cette poupée est un trou sans fond, un trou ménager assigné à son rôle de pondeuse de consommateurs exploités.
arnaudcohen, courtesy @galerie Laure Roynette |
Le chemin se termine, un bras tendu,
dans la main, braquant un pistolet indique la fin du parcours, mais aussi une
série de smiley faite de pièce anciennes dont certaines sont frappées de la
francisque. Les crises économiques mènent souvent au fascisme, au retour de pensées réactionnaire, avec son lot de xénophobie, de laissés pour compte, dont le fascisme manipule les pensées. Fascisme comme dernier rempart et alternative d'un système libéral perdu dans son irrationaité, dont les pantins politiques bandouillent mous, incapables, telle cette série de nains de déflorer quoique ce soit. Les leçons du marxisme sont loin d'être caduques.
Le bras est évidé à l’intérieur, une carlingue d’avion vide s’y trouve… Pénétrons alors notre propre bras dans le moule et...
Le bras est évidé à l’intérieur, une carlingue d’avion vide s’y trouve… Pénétrons alors notre propre bras dans le moule et...
Arnaud Cohen, un appel au fist final !
Par Valéry Poulet
Par Valéry Poulet