Après de multiples censures et autres péripéties l’exposition « le contrepoint russe » a enfin pu débuter en ce Mercredi 13 octobre.
L’attente fut intense autant que le soulagement de la commissaire de l’exposition Marie-Laure Bernadac qui entre tracas administratifs et désaccords avec les artistes a dû batailler jusqu’à la dernière minute pour le « contrepoint » puisse avoir lieu dans des conditions à peu près « normales » ! Mais en ce Mercredi jour de grève et de revendications non moins politiques que celles des artistes de la lointaine Russie… c’est une exposition bien sage qui nous attendait au cœur de la partie médiévale du Louvre …
Yuri Leiderman
Geopoetics, 2010
Dans la série « Geopoetics », performance au Louvre.
© Yuri Leiderman
Quelques œuvres, pas assez nombreuses hélas, d’une quinzaine d’artistes parmi les plus connus de la scène artistique russe telles les maquettes et esquisses d’Emilia et Ilia Kabakov : Les « Iron Mushrooms » d’Igor Makarevitch et Elena Elagina représentant une amanite symbole de la Russie de la tradition sur laquelle repose la tour de Tatline ouvrant la voie à la modernité« Black Night, White Snow » d’Erik Boulatov , « Russia’s most wanted painting » de Komar et Melamid« Business Man Toy Factory » d’AES+F Grouple sulfureux « Abstractionnism Radical » d’Avdeï Ter-Oganian, et « The Flag of Mordor Black Square with Curls » de Pavel Pepperstein …
Ilya et Emilia Kabakov
Esquisse pour le donjon, 2009
© Adagp, Paris 2009
© Adagp, Paris 2009
Le choix de présenter des artistes connus et reconnus de « diverses générations et tendances du renouveau de l’art contemporain russe dont le Conceptualisme de Moscou », est une volonté délibérée de montrer un art contemporain russe radicalement critique et politiquement engagé. C’est un choix, pourquoi pas ? Mais dans ce cas faut-il vraiment s’étonner que la censure, le boycott et les revendications en faveur de l’artiste russe exilé Oleg Mavromatti viennent « brouiller » l’harmonie du « contrepoint » ?
Rappelons qu’il y a une dizaine de jours, le travail d’Avdeï Ter-Oganian avait été censuré par les autorités… La solution de faire réimprimer les dites œuvres (qui sont des multiples) fut alors proposée par Mr Guélman, le galeriste de Ter-Oganian. Ter Oganian refusa en formulant 2 exigences pour accepter que son travail puisse être montré au Louvre. Exigence N°1 : que la censure soit levée et son travail envoyé au Louvre à partir de Moscou. Exigence N° 2 : que l’artiste Oleg Mavromatti actuellement exilé en Bulgarie, dont on refuse de prolonger le passeport et qui de ce fait doit rentrer en Russie où l’attend au mieux la prison (à cause d’une performance que l’église a jugée irrespectueuse à l’encontre de l’orthodoxie), et au pire la mort ( car il a subi de nombreuses menaces)...
© Ter-Avdyei Oganyan
Grace à la persévérance de Mme Bernadac la censure a été levée… et l’œuvre de Ter-Oganian est arrivée au Louvre sans encombre. Mais pour le cas Mavromatti, aucune solution n’a pu être trouvée à ce jour! Ter Oganian, conscient des difficultés du Louvre est néanmoins resté intransigeant (voir lettre N°2 à Mme Bernadac) refusant que son œuvre soit exposée tant que le cas Mavromatti ne serait résolu.Dans sa lettre il demandait qu’en lieu et place de son travail apparaisse un texte qui expliquerait aux visiteurs la situation de Mavromatti.
Il est à remarquer que la plupart des artistes participant à « Contrepoint » ont pour marchand Marat Guelman, propriétaire de la Galerie Guelman à Moscou, mais aussi Directeur du Musée d’art contemporain de Permm (Russie). Soulignons également que parmi les œuvres présentées, celles de A.Brodsky, de Komar et Melamid et de Ter-Oganian appartiennent à la collection du Musée de Permm, tandis que celles de Dubossarsky & Vinogradov appartiennent, elles, à la collection Marat Guelman Gallery De fait, les œuvres que Ter-Oganian refuse de voir exposées au Louvre appartiennent au Musée de Permm, lequel malgré l’avis contraire de Ter-Oganian a décidé de les prêter au Louvre !Aujourd’hui, jour de vernissage alors que les 4 œuvres de Ter-Oganian étaient bel et bien accrochées…
Ter Ogadian interview©gilda guegamian
J’ai entraperçu dans un recoin du couloir non loin de la salle d’exposition un homme agité parlant russe avec une journaliste et son interprète qui essayaient de l’interviewer. C’était Ter-Oganian, qui nous a expliqué être venu pour l’exposition, car il avait besoin de s’expliquer. « Mon travail est un acte politique. La présence de mes œuvres ici est un non-sens. Tant que Mavromatti ne recevra pas un passeport et ne sera pas libre, la présence de mes œuvres ici sera un non-sens.J’ai écrit un texte de huit pages pour expliquer la situation. Je voudrais qu’on m’autorise à les lire ! »
« Vous savez je comprends mes collègues artistes, c’est un rêve que de pouvoir exposer au Louvre, même si ce n’est qu’une exposition dans une petite cave (маленький подвал)… mais il aurait suffi qu’ensemble avec le Louvre nous fassions pression pour que les choses changent pour Mavromatti, car pour lui c’est une question de vie ou de mort! »
Aujourd’hui, jour de vernissage où la jet set regarde champagne à la main des œuvres dites « engagées », quelque part en Bulgarie, un homme, Oleg Mavromatti, attend de savoir si une exposition constituée d’œuvres politiquement engagées, saura s’engager à ses côtés et à travers lui défendre la liberté d’expression. Mais la vie, ce n’est pas de l’art… et dire n’est pas faire !
Gilda Guégamian
Lettre N°2 de Ter-Avdyei Oganyan à Marie-Laure Bernadac, commissaire de l'exposition
"Chere Marie-Laure!
Je vous remercie pour vos aimables paroles au sujet de mon travail ainsi que de votre compréhension.
Notre petite victoire me rend bien sûr, très heureux. Après tout, le ministère de la Culture de la Russie a effectivement reconnu avoir porté à tort des accusations d'incitation à la haine religieuse sur des artistes et leurs œuvres .
Mais je ne peux en aucun cas me satisfaire de cette victoire sur le terrain symbolique. C'est en ce moment précis qu'Oleg Mavromatti risque la prison, simplement parce qu'il a lors de sa performance représenté la crucifixion du Christ. L'essentiel de mes exigences est adressé au Ministère russe des Affaires étrangères, et même si ce problème n'est pas résolu, ils seront au minimum déshonorés.
S'il n'y avait pas eu les problèmes de Mavromatti je n'aurais sans doute pas présenté un ultimatum au ministère de la Culture et aurais peut-être accepté le fait que mon travail soit imprimé à Paris.
Je suis peiné que les autres artistes ne me soutiennent pas. Mais je connais bien ces personnes et les comprends parfaitement. Mon but n'est en aucune façon de les discréditer,et encore moins en ce qui vous concerne. S'il vous plaît comprenez moi bien. J'ai déjà fait une déclaration publique où j'ai dit que je refuserai de participer à l'exposition sans que le problème d' Oleg Mavromati ne soit résolu. Cette déclaration n'a pas été spontanée. Je ne vois pas de raisons de la réfuter. Mon objectif était et est d'attirer l'attention non seulement la Russie mais aussi du public français, sur le problème très spécifique d'un artiste, qui doit impérativement être résolu maintenant. Il me semble que le public français peut avoir un impact non seulement sur le ministère russe des Affaires étrangères, mais aussi sur le service en charge des réfugiés du ministère des Affaires étrangère de Bulgarie.
Pour ma part, il est clair que l'absence de mon travail à l'exposition attirera plus l'attention du public que sa présence.
Encore une fois je vous prie de bien vouloir m'apporter votre soutien sur ce sujet. Vous pouvez me soutenir juste, en soulignant mon absence en laissant l'espace du mur où aurait dû figurer mon travail vide avec un bref commentaire sur les raisons de mon refus.
Je pense qu'une lettre au ministère pour les réfugiés en Bulgarie (http://community.livejournal.com/mavro matti/3708.html ),provenant d'une grande institution comme le Louvre, pourrait impressionner les fonctionnaires bulgares.
Encore une fois je vous prie de m'excuser. Je veux croire que vous n'entraverez pas mon désir de ne pas participer à l'exposition.
Cordialement,
Votre Ter-Avdyei Oganyan