Avec "Disabled Theatre", Jérome Bel signe une superbe nouvelle création !
Issue d'une collaboration avec le théâtre HORA, basé à Zurich, la particularité de cette compagnie est d’être composée de comédiens atypiques
Jérome Bel s’est toujours montré soucieux dans chacune de ses pièces, de porter sa réflexion sur la chorégraphie mais surtout le théâtre. Sans cesse à la recherche de nouvelle formes, il pousse la chorégraphie et le jeu théâtral dans ses plus infimes retranchement. Souvent considéré comme l’un des chefs de file de la danse minimaliste ; peu de mouvements, un abandon de la virtuosité, pour aller au plus profond des choses : creuser des intentions , des questionnements et tout cela sans esbrouffe ou artifice. Mais cette posture, a priori rigide, laisse passer l’émotion, la rend même plus fort encore. « Disable Theater » est un spectacle sensible qui prend aux tripes.
Le travail de
Jérome Bel part d’une commande, celle du théâtre HORA, qui comme nous l’avons
vu est composé de onze comédiens professionnels, tous handicapés mentaux. Le
metteur en scène et chorégraphe répond positivement à cette commande car elle
est dans le droit fil de ses propres préoccupations scéniques, le thème de
l’aliénation qu’il développe au fil de son parcours artistique.
Avec la compagnie
HORA , il vient de plein fouet se heurter à cette forme d’aliénation que peut
être la déficience mentale, que peut-on en faire ? Que peut-on en
dire ? Quelle place est assignée à qui ? Comment se définissent les
rapports entre spectateurs et comédiens ? Rapports de pitié, d’empathie,
de voyeurisme ? Un peu tout à la fois. Il y a aussi cette fragilité, cette
faiblesse des comédiens eux-mêmes. D’ailleurs, Jérome Bel fait déjà référence à
cette fragilité, à cette faiblesse avec cette magnifique pièce qu’il monte et crée avec Anne Teresa De
Keersmaeker « 3Abschied » tiré du Lied de Gustav Mahler, où l’émotion
l’emporte avec Anne Teresa De Keersmaker interprétant elle-même le Lied dans la
troisième partie du spectacle. « Disable Theatre » nous procure cette
même émotion, non teintée d’ambigüité. Une des forces de Jérome Bel ! Mais
laissons-lui la parole.
Transversales : On vous définit comme le leader de la
« Non Dance », ce spectacle avec HORA, n'est ce pas une occasion d’alimenter cette
réputation ?
Jérome Bel : Le principe de non-dance est une
aberration pour moi ! Je ne me définis pas comme cela, c’est une invention
de journaliste en mal d’inspiration où croyant avoir lancé un nouveau concept
sur le marché ! De plus je définis ma démarche comme singularité plutôt
que concept. Je m’adosse à une idée de l’art, inventive, novatrice… Je cherche
de nouvelles façons de danser, j’envisage l’art comme progression et non comme
répétition, comme un travail expérimental ! D’ailleurs, c’est ce que
j’envisage avec les comédiens d’HORA. Come je ne vois pas non plus de grande
différence entre performance et danse. Pour moi, il y a juste , une salle, un
théâtre, une scèn et une expérimentation à l’intérieur… Pas de limites, pas de
frontières ,sauf les murs de la salle et encore l’image persiste hors des
murs ! Concernant HORA, j’ai des croyances que j’essaie de casser… ils
m’apprennent que le théâtre peut être autre chose… Essayer d’être le plus libre possible !
T : Quelle est la genèse de cette aventure ?
JB : C'est simple , l’on m’a proposé de travailler avec HORA en m’expliquant la particularité des comédiens composant cette compagnie. J’ai d’abord demandé des DVD d’autres spectacles montés par cette compagnie avant de donner une réponse négative ou positive. La vision de ces DVD furent pour moi un choc incompréhensible ! Et je me suis décider à tenter le pari. Par contre, jamais je n’aurais accepté si cela n’avaient pas été des comédiens. Pour plusieurs raisons, malgré leurs handicaps mentaux, ils sont comédiens profesionnels,l’autre raison est que je suis metteur en scène chorégraphe mais absolumment pas éducateur spécialisé ou animateur ! J’ai un grand respect pour leur travail mais ce n’est pas le mien !
T : Vous avez l’honnêteté de le dire !
JB : Oui, peut-être… Mais , en tout cas, il y aurait eu refus de ma part hors de ce cadre… Comme je vous le dit je ne suis pas médecin ou acteur social...
T : Comment se sont passés les premières rencontres ?
JB : Je ai rencontré les comédiens deux fois, une première pendant 3 heures, il ne faut pas oublier la maladie de ces comédiens, 3 heures peuvent être longues.. Puis nous avons entamé un travail de 5 jours sur la pièce elle-même. Cette pièce est finalement le choc des DVD que j’avais vu, tenter de comprendre l’émotion enfin bref ce ne fut pas simple…
T : Pas simple ? C'est à dire ? Et 5 jours , c’est court pour monter une pièce ?
JB : 5 jours, cela dépend pour qui ! N’oubliez pas les handicaps, je me suis heurté à des altérations cognitives, un acteur peut reproduire plusieurs fois, à l’infini, pour exagérer… Eux ne peuvent pas le faire. Théoriser, faire des choses pour la première fois, danser, jouer comme la première fois ! Il y a toujours une surprise, une singularité, une faiblesse mais aussi des forces. Il a fallu trouver un cadre.
La question : comment mettre en scène ce qu’ils sont, que ce soit visible. Donc il a fallu remodeler des cadres, il y a un ordre dans cette pièce, mais dans cet ordre, il y a des accidents, comment retrouver un recadrage, Nous sommes partis sur cette séquence de présentation, chacun comédien ayant une minute. Une minute, c’est une norme ! Il fallait autant que possible qu’ils restent dans la norme , dans le cadre fixé. Dans la tradition du théâtre, le temps est toujours précis… Après physiquement et en terme de concentration pour eux, c’est énorme !
T : Qu’en tirez vous personnellement ?
JB : Je ne sais comment dire, je fait un théâtre handicapé, je regarde toujours le théâtre qui se déroule devant moi… Dans mes expériences , recherches , tatonnements… Je dirais qu’il y a une forme d’identification, de transfert psychanalitique. Eux, c’est moi… Ces acteurs , c’est moi....
Entretien réalisé en juin 2012 par Valéry Poulet
"Credits:
Disabled Theater (2012)
Theater HORA - Stiftung Züriwerk
(c) Michael Bause"