Noami Watts @ Marcel Berlanger |
Si vous passez par le
Voyage à Nantes, qui dure du 15 juin au 19 aout, vous y verrez une multitude d’expositions
dont celle superbe de Roman Signer à la Hab Galerie. Mais il est un lieu
indispensable à visiter c’est MilleFeuilles, tout récent atelier d’artistes
qui inaugure le lieu par le biais d’un curating mené par le critique d’art
Tristan Trémeau. Celui-ci nous propose une ré interrogation de la peinture et
ses potentialités.
La peinture, part maudite
de l’art contemporain, aurait-elle été enterrée trop vite ? Has been,
dépassée, médium sur lequel tout a été fait, tout a été dit, dont la queue
de comète furent les tentatives commerciales du néo-expressionisme avec
Immendorf, ou Salomé ou encore la Transavangarde italienne avec Enzo Cucchi,
Mimmo Paladino, je parle même pas de la figuration libre… Une peinture qui
s’est vidée de sa substance, de sa recherche. Par un retour à la figuration
bien plus créée pour le marché que pour sa valeur intrinsèque. Quelques
météorites restent ! Des monstres
sacrés comme Sigmar Polke . Du champ du cygne de la peinture, donc ?
Il n’en n’est rien !
"coopérationsVII et VI"@MiquelMont |
L’exposition " En un
lieu incertain" est là pour le prouver et nous montre une génération de
jeunes peintres qui révèlent des potentialités nouvelles et réinterrogent le
médium par le biais de relectures diverses qui passent de l’expressionisme
abstrait à la peinture minimaliste en passant par support/surface et se
positionnant après le post-modernisme.
"sans titre " de Nicolas Chatelain |
Le premier intérêt de ces
directions multiples sont qu’elles se répondent, ne sont pas en oppositions
mais complémentaires et se renvoient l’une à l’autre et réinterrogent aussi,
l’espace, la distance, le point focal, la perspective, la bidimentionalité du
plan. Elle s’attaque au volume donc à l’exemple d’un Nicolas Châtelain, qui
joue et rejoue de ses peintures, les triture mais à la façon d’un Donald Judd,devenue" Junk painting" où le minimalisme provient de l’objet trouvé et nous livre un travail enfantin
dans le sens noble du terme.
"sans titre" @ Nocolas Chatelain |
Il joue de l’infra mince, de la forme, qui déborde
le cadre, un travail proche de celui de Dezeuze, où le cadre n’est plus plan
mais extensions, arêtes, qui se regardent sur diffèrent axes. Cette
désarticulation du plan, mais aussi de la destruction de la frontalité,
s’effectue avec une économie de moyens, matériaux pauvres, de récupérations.
Jeu de lego, de Rubyk's cubes bancals, chaque œuvre en devient par ses formes non
figées, de mini-histoires visuelles avec une ludique simplicité.
"ballots" Edouard Prulhière |
A ces œuvres de Nicolas Châtelain
répondent les grands volumes de Edouard Prulhière, elles ne s’opposent pas,
elles se complètent, chacune d’elles jouent sur le débordement du cadre, du
plan, de la perspective. Edouard Prulhière vient subtilement se dresser entre la
peinture et la sculpture, une pièce intitulée « Ballots » faite de
toiles compressées accrochées et suspendues comme des grappes, semblent devenir
une expansion de l’infra mince de Châtelain, les similitudes sont proches,
elles réinterrogent le regard. Ces toiles emballées, puis empaquetées par des
sangles qui la ligotent , la malmène agissent aussi contre la planéité,
elles deviennent plis, creux, arêtes… Il y a du Pollock, du all-over chez
Prulhière, les ballots tournés, retournés, provoquent des effets de coulure, la
peinture devient matière venant se nicher par épaisseur dans les plis de la
toile. Mais ici, le all-over se referme sur lui –même, cette pièce vient
renforcer un sentiment de frustration, celui de pouvoir déballer et de déployer
ses toiles… D’ailleurs Edouard Prulhière
s’en amuse, présentant une pièce intitulée « LPI », ou il joue là sur
le déploiement, le All-Over et vient créer un point focal, jouer sur un effet
de profondeur, nous engage dans une frontalité, et joue de l’ambiguiîé
sérigraphie ou peinture à l’instar d’une autre pièce qui, elle
est une sérigraphie ! Ironique hommage à Andy Warhol que l'on connait peu
comme peintre!
"flying stones"@ Marcel Berlanger |
« LPI », vient
dialoguer avec une œuvre « Flying stones » d’un peintre belge Marcel
Berlanger, hélas inconnu en France, qui joue lui aussi de l’illusion, du
trompe-l’œil, de la notion de distance et d’éloignement, son travail sur la frontalité,
vient selon notre éloignement nous interroger sérigraphie ou peinture ? A
mesure que le regard s’approche, le regardeur s’aperçoit qu’il a à faire à de
la peinture ! Qu’il s’est fait dupé ! Cette duperie est juste une
affaire de matièrage, lui aussi vient titiller Warhol mais aussi la mode du
néon par une pièce intitulée « Naomie Watts »
"LIP" @Edouard Prulhière |
Parlons enfin du travail
de Miquel Mont, peintre espagnol, dont le travail, plus géométrisé, grandes
pièces verticales, fleurte avec le minimalisme, son travail fait de rigueur
géométrique n’est pas en opposition avec celui de Prulhière ou de Chatelain. Il
vient par sa rigueur, nous donner une leçon sur ce qu’est un plan, une
profondeur, une transparence, il laisse à escient des espaces vides qui
transforme le chassis ou les chassis comme pièces intégrantes de l’œuvre, qui
en démontent la mécanique tel un squelette. Il compose, avec une grande finesse,
des relations entre couleurs et matières, effets d’opacités dues aux matières,
plexiglas colorés accolés à des tulles légers de même couleurs. Dans ses
proximités avec les plexiglas colorés de Bustamante, Miquel Mont nous rappelle
que la matière peut changer bien des choses…
"orange correct"@ Miquel Mont |
Le premier jour de l’exposition
fut ponctué par une performance sonore du guitariste Olivier Aude, englobant
l’espace de vagues sonores mélodiques ou bruitistes et qui nous renvoie les
liens tissés par Klee ou encore Kandinsky avec la musique.
"En Un Lieu
Incertain" vient nous rappeler que la peinture n’est pas morte, qu’elle
est loin d’avoir user de ses potentialités et ne se résume pas à des artistes
comme Desgranchamp, pour ne citer que lui. et à un retour en arrière figuratif
qui abandonne, l’essai, l’expérience, la recherche…
Par Valéry Poulet