@Mohamed
Bourouissa
Photographie-document,
photographie plasticienne, Mohamed Bourouissa avec sa série
« Périphéries » flirte à
lisière de ces deux pôles et met en question la place de
l’individu social dans un monde saturé de médias où
les images véhiculées par la banlieue, renvoient le
plus souvent à un monde négatif.
Lors d’une résidence
à Toulouse, Mohammed Bourouissa, jeune photographe d’une
trentaine d’année, s’immerge dans le quartier de
Toulouse-Mirail, complétée par des travaux ultérieurs
réalisés en banlieue parisienne. Il en résulte
une superbe série photographique intitulée
« Périphéries »
Cette série a donc
pour thématique la banlieue, sujet cher à Bourouissa
qui en explore la géographie humaine et physique depuis ses
premiers travaux.
De prime abord, rien ne
parait vraiment nouveau. La démarche pourrait être
similaire au travail classique d’un photoreporter. Mais à
l’encontre de ceux-ci, les travaux de Bourouissa s’inscrivent
dans une démarche fondamentalement différente. Il
revendique ses photographies comme des propositions artistiques.
« Mon
travail met en scène la banlieue en tant qu’objet
conceptuel, artistique dans des situations qui d’ordinaire seraient
du ressort du photojournalisme »
Il s’attache à un
thème récurrent de l’image des banlieues dans
les médias ; la violence et les rapports de pouvoir mais
Bourouissa déconstruit les clichés habituels sur la
question.
« …En
démontant les clichés de ce sujet, je traite de la
problèmatique du rapport de force et pose la question de la
mécanique du pouvoir »
Là où un
photo-reporter traite cette thématique par des moments pris
sur le vif, par des instantanés. Bourouissa lui choisit de
mettre en scène dans le sens littéral du terme ses
photographies. En cela, il s’inscrit dans la lignée de Jeff
Wall, notamment « Dead troops ».
qui reconstitue et
fictionne tel un film de guerre des soldats de l’armée rouge
victimes d’une embuscade en Afghanistan, ou aussi à Eric
Baudelaire et son dyptique « The Dreadful details »
qui fit scandale lors de son exposition au public. En effet, cette
photo, simulant une scène en Irak, fut prise dans les décors
d’une série américaine. Jeu entre réel et
fiction.
Eric
Baudelaire « The Dreadfull
details »
Bourouissa reconstitue,
réagence, recrée.
Ceci implique que les
protagonistes des photographies de Bourouissa passent du statut de
sujets à celui d’acteurs, de comédiens, vont jusqu’à
agir dans la conception même de la photographie. Bourrouissa,
avant d’entamer ses travaux photographiques, tisse des liens,
institue des rapports de confiances avec les gens qu’il
photographiera plus. En tout cela, il s’oppose à la
conception de « l’instant magique » illustrée
par Henri Cartier-Bresson.
Dans ses mises en scènes,
Bourouissa ne montre pas l’événement mais recrée
les conditions préalables à celui-ci, (référence
indirecte à Jeff Wall qui lui situe « Dead troops »
après l’événement ?)
Regards, gestes jouent ou
rejouent l’instant où tout peut basculer, une échauffourée,
une bagarre, une émeute… Où le regard prend toute son
importance. Cette tension crée
la force de ses photos.
@mohamed Bourouissa
@mohamed Bourouissa
Le travail d’élaboration,
de mise en scène, presque gênante de par son aspect artificiel et provoquée par le photographe, s’apparente à une approche quasi-
cinématographique. (travail d’acteurs, espace, regards, )
dont il utilise le langage, comme par exemple, le principe du
champ/contre-champ. Il y a souvent confrontation des regards entre
les protagonistes des photographies de bourouissa. Regards pesants de
menace, provocateurs, à la limite de l’affrontement, le
photographe attache une grande importance à ces rapports de
vis-à-vis, pousse la tension à son paroxysme, et joue
sur le nôtre. Qui n’a pas, un jour, baissé
instinctivement les yeux devant un groupe de jeunes banlieusards, a
refusé la confrontation du regard, souvent par peur, par
défiance ?
@mohamed Bourouissa
Jeux des regards, donc. Un
jeune, de dos, fait face à un autre, au visage à
l’attitude menaçante. Derrière ce jeune, un troisième
photographie ou filme la scène avec son portable. (Référence
aux portables qu’utilisent les jeunes pour se filmer mais aussi
filmer les exactions policières ? Portables qui servent
de contre-points à la vision dominante livrée par les
médias). Les portables annoncent la mort aussi du
photoreportage classique confiée à des professionnels,
un nouveau régime de visibilité, de préhension
du réel s’instaure. L’usage du portable n’est pas neuf
dans le travail de Bourouissa, ainsi dans la vidéo « Temps
mort », le portable sert de lien avec l’extérieur
pour un jeune homme incarcéré.
Jeu sur l’immédiatetée,
l’instantané du portable qui saisit ce visage que nous ne
voyons pas, nous met en position de voyeur aveugle. Nous ne verrons
pas le contre-champ, ni l’image filmée ou photographiée
et nous laissera dans la frustration.
Mais aussi travail qui se
référencie à l’histoire de l’art, Bourouissa
n’hésite à citer des œuvres du passé comme « République ».
Référence
directe au tableau de Delacroix « La
liberté guidant le peuple » ou
encore à Piero della Francesca dans la photo « La
morsure ».
« La liberté guidant le peuple" Delacroix
Bien qu’il ne revendique
pas un travail politique ou social, Bourouissa inscrit son travail
dans une dénonciation du traitement médiatique des
banlieues.
La photographie intitulée
« Reflet », plus
installation que photo d’ailleurs, résume assez bien, par sa
puissance, le regard infligé aux banlieues ; un jeune, de dos, dont le code vestimentaire et le paysage, l'identifie à un jeune de banlieue, est face à un amas de postes télévisés
qui, selon toute vraisemblance,ne fonctionnent plus.
A l’arrière-plan, donc, les bâtiments anonymes d’une banlieue (on peut imaginer les
champs de paraboles qui ont un moment alimentées
ces postes télé)
Dans l’un de ces postes,
le reflet du jeune (encore ici un travail de champ/contre-champ). Il
ne voit de lui que ce reflet qui lui est renvoyé par l’écran
de la télé, tas de carcasses amoncelées. Nous ne
voyons pas son image, nous ne voyons que ce reflet.
« Le reflet »@Mohamed Bourouissa |
Nous sommes encore renvoyés ici à notre position de voyeur, nous sommes renvoyés à notre position de téléspectateur passif à l’instar de ce jeune à l’on renvoie pour seule image de lui. Image qu’il ne contrôle pas, qui lui colle à la peau qu’il finit par considérer comme la réalité par capillarité.
Texte inspiré d’une
exposition de Mohammed Bourouissa
à la Galerie « Les
Filles du Calvaire » 17, rue des Filles du Calvaire,
Paris, France.