"shadow, Düsseldorf, 07"@Chantal Vey |
Qui, enfant, n’a pas rêvé un jour devant des
cartes géographiques, à suivre les délimitations abstraites de pays inconnus,
aux noms exotiques. D’où viennent ces tracés, ces lignes de démarcations ?
Qui en sont les habitants ? Chantal Vey, dans une partie de son travail
photographique, poursuit ces lignes imaginaires… Par exemple, les bords de la Belgique.
Il apparait très vite que ces lignes, abstraites, marquent l’inconscient
des gens qui vivent de part et d’autres de ces frontières. Il existe toujours
un ailleurs inaccessible, celui de son voisin de palier, ou encore de la rue
d’en face où sur l’espace de quelques mètres, la langue, les coutumes, les
modes de vie changent.
Chantal Vey s’intéresse aussi aux no man’s
lands, aux lieux sans identifications, où sommes-nous ? Ici et ailleurs… Parfois
une silhouette surgit, de dos, un ou une inconnue…. Paysages urbains ou
campagnards vides, routes qui mènent nulle part. Des objets laissés pour
compte, résidus d’une société où l’on jette, abandonne, marquent les présences,
les abandons.
Une route qui s’enfonce à l’infini, vers des
périphéries sans but… Chantal Vey puise ses sujets dans les confins de notre
visibilité, nous interroge sur notre identité, sur notre regard.
A
la lisière des corps, des frontières intimes…
Paysages ouverts sur le vide ou au contraire,
bouchés, cachés, dissimulés où le regard se heurte à des murs à des
impossibilités. Personnes de dos, qui, furtives, se glissent dans des décors
anonymes. La photographe les fait disparaitre, les placent aux lisières d’une
rue, d’un chemin, d’un bâtiment.
Dans certaines séries, des silhouettes de
dos, aux corps tronqués viennent obturer notre vision, se placent, là, juste, où notre désir d’aller,
plus loin, voudrait se porter. Chantal
Vey, joue sur une triple ambiguïté. Nous et nos propres désirs d’aller plus
loin, d’en savoir plus, puis ce qu’explore ou observe cette personne, que
pense-t-elle ? Que toise-t-elle du bord de sa fenêtre ? Quelle
est cette part de paysage que nous autorise à regarder Chantal Vey ? Notre
désir dévie très vite à mettre un visage sur cette silhouette inconnue, comme
ce territoire frontalier. Cet autre côté des choses ! Ces corps de dos, ne
seraient-ils pas notre propre miroir ? Notre propre intimité mise à
nue ?
Cette part de frontière intérieure, cet
au-delà, que jamais nous ne pourrons atteindre ? Est-ce utile de parler de
photographie dans le travail de Chantal Vey ? Certes, elles sont là,
présentes, face à nous ! Chacune d’elles parle de nous, de nos rêves
enfouis, perdus, de nos solitudes quotidiennes. Par-delà, une dénonciation d’un
système économique qui laisse trainer ses déchets, ses laissés pour compte, ses
photographies parlent de nos propres abandons, de nos illusions perdues,
laissées là au bord d’un mur…. Ces objets sont des parts de nous-mêmes,
désarticulés, disloqués… Des parts de nos identités, mais qui semblent n’avoir
plus aucun sens…
Les frontières sont physiques, les stigmates
d’une Europe, il y a encore peu, divisée, séparée, se lisent encore dans ces no
man’s land que nous montre Chantal Vey. Mais ces frontières sont-elles pourtant
vraiment abolies ? Rien n’est moins sûr. Elles restent ancrées dans notre
inconscient. Il ne faut pas oublier que Chantal Vey vit en Belgique et que les
frontières deviennent insidieuses pour un mètre, pour un lopin de terre….
GareCongresBruxelles@Chantal Vey |
"Les individus ou les
groupes occupent des points dans l'espace et se distribuent selon des modèles
qui peuvent être aléatoires, réguliers ou concentrés. Ce sont, en partie, des
réponses possibles au facteur distance et à son complément l'accessibilité. La
distance pouvant être appréhendée en termes purement spatiaux (distance
physique ou géographique), temporels, psychologiques ou économiques. La
distance intéresse l'interaction entre les différents lieux. Interaction
politique, économique, sociale et culturelle qui résulte de jeux d'offres et de
demandes émanant des individus et/ou des groupes. Cela conduit à des systèmes
de maillages, de noeuds et de réseaux qui s'impriment dans l'espace et
constituent en quelque sorte le territoire. Non seulement, il se réalise une
différenciation fonctionnelle, mais encore une différenciation commandée par le
principe hiérarchique qui contribue à ordonner le territoire selon l'importance
accordée par les individus et/ou les groupes à leurs diverses actions."
Claude Rafestin
Une route, un boulevard, un bâtiment créent
frontières : Paris et son périphérique, l’Allemagne et son Est… Et nos corps ballottés, hésitants… Franchir,
ne pas franchir, cette peur inconsciente de l’altérité. Chantal Vey nous la
montre, subtilement.
L’autre
rive, errances et dérives
Chantal Vey se place souvent dans un
entre-deux, dans ce champ des possibles, impalpable d’où la force de son
errance ! Pourtant dissemblable dans la forme, deux films viennent à l’esprit dans le travail
de Chantal Vey « Stalker » de Tarkovsky et le film
« Japon » du réalisateur mexicain, Carlos Reygada, mais aussi le
photographe Walker Evans dans ses longues randonnées au travers les Etats-Unis
et Jack Kérouac, l’écrivain..
« Stalker », cette tentative d’atteindre l’impossible,
d’atteindre un point situé sur un territoire vide, inconnu… A la recherche
d’une transcendance, à la recherche de soi ! « je est un
autre », Charleroi, Pékin, Rio, l’autre rive de nous-même… L’autre rive de
l’immigré scrutant l’horizon de la mer, de la rive à franchir, physiquement et
mentalement. L’agoraphobie des lieux désertiques, où personne ne se trouve, ne
se retrouve, communie. « Japon » où le personnage de Reygadas se
dirige vers un lieu pour chercher sa propre mort et évidemment Kerouac « Sur
la route ». Le travail de Chantal Vey, les quêtes de la photographe
s’effectuent en solitaire, afin de mieux saisir les vibrations d’un lieu, elle
part seule en voiture et entame sa propre errance vers des lieux improbables. Là, où justement, plus rien n’est
soupçonnable, une rue vide, un chemin, un passage entre deux blocs de bétons…
Il ne s’y passe rien mais une silhouette est toujours là, tapie dans l’ombre,
prête à surgir ou à se fondre dans le vide…
"Internes, Bourcefranc, 09"@]Chantal Vey |
Chantal Vey nous propose juste des paysages
mentaux, nous emmène dans de biens silencieuses raisons… des désirs déchus, des
rêves désespérés, une dérive sans fin, son errance est la nôtre.
Bas van Jander, artiste hollandais, un jour partit avec sa coquille de noix traverser
l’Atlantique… A la recherche de lui-même ?
« Ailleurs, bien loin d’ici »
Charles Baudelaire.
Valéry
Poulet
"Ecritures de lumières"
Du 31 mai au 29 juillet 2012
RURART 86480 Rouillé
"Ecritures de lumières"
Du 31 mai au 29 juillet 2012
RURART 86480 Rouillé