07/05/2012

ICI ET AILLEURS… CHANTAL VEY , PHOTOGRAPHE


"shadow, Düsseldorf, 07"@Chantal Vey 



Qui, enfant, n’a pas rêvé un jour devant des cartes géographiques, à suivre les délimitations abstraites de pays inconnus, aux noms exotiques. D’où viennent ces tracés, ces lignes de démarcations ? Qui en sont les habitants ? Chantal Vey, dans une partie de son travail photographique, poursuit ces lignes imaginaires… Par exemple, les bords de la Belgique.










 Il apparait très vite que ces lignes, abstraites, marquent l’inconscient des gens qui vivent de part et d’autres de ces frontières. Il existe toujours un ailleurs inaccessible, celui de son voisin de palier, ou encore de la rue d’en face où sur l’espace de quelques mètres, la langue, les coutumes, les modes de vie changent.
Chantal Vey s’intéresse aussi aux no man’s lands, aux lieux sans identifications, où sommes-nous ? Ici et ailleurs… Parfois une silhouette surgit, de dos, un ou une inconnue…. Paysages urbains ou campagnards vides, routes qui mènent nulle part. Des objets laissés pour compte, résidus d’une société où l’on jette, abandonne, marquent les présences, les abandons.
Une route qui s’enfonce à l’infini, vers des périphéries sans but… Chantal Vey puise ses sujets dans les confins de notre visibilité, nous interroge sur notre identité, sur notre regard.

A la lisière des corps, des frontières intimes…

Paysages ouverts sur le vide ou au contraire, bouchés, cachés, dissimulés où le regard se heurte à des murs à des impossibilités. Personnes de dos, qui, furtives, se glissent dans des décors anonymes. La photographe les fait disparaitre, les placent aux lisières d’une rue, d’un chemin, d’un bâtiment.
Dans certaines séries, des silhouettes de dos, aux corps tronqués viennent obturer notre vision,  se placent, là, juste, où notre désir d’aller, plus loin,  voudrait se porter. Chantal Vey, joue sur une triple ambiguïté. Nous et nos propres désirs d’aller plus loin, d’en savoir plus, puis ce qu’explore ou observe cette personne, que pense-t-elle ? Que toise-t-elle  du bord de sa fenêtre ? Quelle est cette part de paysage que nous autorise à regarder Chantal Vey ? Notre désir dévie très vite à mettre un visage sur cette silhouette inconnue, comme ce territoire frontalier. Cet autre côté des choses ! Ces corps de dos, ne seraient-ils pas notre propre miroir ? Notre propre intimité mise à nue ?
Cette part de frontière intérieure, cet au-delà, que jamais nous ne pourrons atteindre ? Est-ce utile de parler de photographie dans le travail de Chantal Vey ? Certes, elles sont là, présentes, face à nous ! Chacune d’elles parle de nous, de nos rêves enfouis, perdus, de nos solitudes quotidiennes. Par-delà, une dénonciation d’un système économique qui laisse trainer ses déchets, ses laissés pour compte, ses photographies parlent de nos propres abandons, de nos illusions perdues, laissées là au bord d’un mur….  Ces objets sont des parts de nous-mêmes, désarticulés, disloqués… Des parts de nos identités, mais qui semblent n’avoir plus aucun sens…
Les frontières sont physiques, les stigmates d’une Europe, il y a encore peu, divisée, séparée, se lisent encore dans ces no man’s land que nous montre Chantal Vey. Mais ces frontières sont-elles pourtant vraiment abolies ? Rien n’est moins sûr. Elles restent ancrées dans notre inconscient. Il ne faut pas oublier que Chantal Vey vit en Belgique et que les frontières deviennent insidieuses pour un mètre, pour un lopin de terre….

GareCongresBruxelles@Chantal Vey

 "Les individus ou les groupes occupent des points dans l'espace et se distribuent selon des modèles qui peuvent être aléatoires, réguliers ou concentrés. Ce sont, en partie, des réponses possibles au facteur distance et à son complément l'accessibilité. La distance pouvant être appréhendée en termes purement spatiaux (distance physique ou géographique), temporels, psychologiques ou économiques. La distance intéresse l'interaction entre les différents lieux. Interaction politique, économique, sociale et culturelle qui résulte de jeux d'offres et de demandes émanant des individus et/ou des groupes. Cela conduit à des systèmes de maillages, de noeuds et de réseaux qui s'impriment dans l'espace et constituent en quelque sorte le territoire. Non seulement, il se réalise une différenciation fonctionnelle, mais encore une différenciation commandée par le principe hiérarchique qui contribue à ordonner le territoire selon l'importance accordée par les individus et/ou les groupes à leurs diverses actions." Claude Rafestin


Une route, un boulevard, un bâtiment créent frontières : Paris et son périphérique, l’Allemagne et son Est…  Et nos corps ballottés, hésitants… Franchir, ne pas franchir, cette peur inconsciente de l’altérité. Chantal Vey nous la montre, subtilement.


L’autre rive, errances et dérives

Chantal Vey se place souvent dans un entre-deux, dans ce champ des possibles, impalpable d’où la force de son errance ! Pourtant dissemblable dans la forme,  deux films viennent à l’esprit dans le travail de Chantal Vey « Stalker » de Tarkovsky et le film « Japon » du réalisateur mexicain, Carlos Reygada, mais aussi le photographe Walker Evans dans ses longues randonnées au travers les Etats-Unis et Jack Kérouac, l’écrivain..
« Stalker »,  cette tentative d’atteindre l’impossible, d’atteindre un point situé sur un territoire vide, inconnu… A la recherche d’une transcendance, à la recherche de soi ! « je est un autre », Charleroi, Pékin, Rio, l’autre rive de nous-même… L’autre rive de l’immigré scrutant l’horizon de la mer, de la rive à franchir, physiquement et mentalement. L’agoraphobie des lieux désertiques, où personne ne se trouve, ne se retrouve, communie. « Japon » où le personnage de Reygadas se dirige vers un lieu pour chercher sa propre mort et évidemment Kerouac « Sur la route ». Le travail de Chantal Vey, les quêtes de la photographe s’effectuent en solitaire, afin de mieux saisir les vibrations d’un lieu, elle part seule en voiture et entame sa propre errance vers des lieux improbables.  Là, où justement, plus rien n’est soupçonnable, une rue vide, un chemin, un passage entre deux blocs de bétons… Il ne s’y passe rien mais une silhouette est toujours là, tapie dans l’ombre, prête à surgir ou à se fondre dans le vide…



"Internes, Bourcefranc, 09"@]Chantal Vey


Chantal Vey nous propose juste des paysages mentaux, nous emmène dans de biens silencieuses raisons… des désirs déchus, des rêves désespérés, une dérive sans fin, son errance est la nôtre.
Bas van Jander, artiste hollandais,  un jour partit avec sa coquille de noix traverser l’Atlantique… A la recherche de lui-même ?
« Ailleurs, bien loin d’ici » Charles Baudelaire.

                                                                                              Valéry Poulet




"Ecritures de lumières"
Du 31 mai au 29 juillet 2012
RURART 86480 Rouillé