13/12/2010

QUAND LE REGARD SE PERD...










courtesy@Galerie Bertrand Grimont


« Vilnius », « Liège », « Odessa », errances urbaines toutes subjectives de Thomas Manneke, photographe, où le hasard des lieux, des personnages amorcent autant de narrations inachevées…


Trois villes, trois lieux qui forment un triangle imaginaire, qui semblent s’opposer dans cet espace géographique, politique, culturel qu’est l’Europe. Qu’ont-elles en partage ? A priori, peu de choses, si ce n’est le fait d’appartenir à cet espace commun.

Ne faut-il pas plutôt chercher ailleurs ? Du côté d’une géographie intime, d’une approche qui tenterait de restituer en quelque sorte une forme de paysage mental plutôt que physique, géographie intime dont le point commun serait Thomas Manneke ?



Odessa@Thomas Manneke

courtesy@galerie Bertrand Grimont


Les photographies de Thomas Manneke, ne semblent pas conforter notre regard dans l’emploi de thématiques communes, de cohérence interne évidente, de récurrences, marquant de leurs présences chacune des séries.

A l’intérieur de chaque d’elle, les photographies passent indifféremment du portrait au paysage urbain. Certes, les personnages croisés dans ces photographies ont affaire avec chacune des villes respectives, vivent, côtoient de près ou de loin ces paysages présentés. Thomas Manneke ne nous en délivre pas les clés. Les sujets ne semblent avoir que peu de rapports entre eux, nous livrent une vision disparate du monde dans lequel ils prennent place.

Rien ne vient non plus accorder à notre regard, une identification, un repère sauf parfois à jouer du réflexe culturel, à se raccrocher à quelques physionomies, à quelques architectures, à supputer sur une éventuelle localisation, mais guère plus. Cette fille, qui danse, par exemple, ou encore cette famille de « gitans » ou de « Roms »: Liège, Vilnius, Odessa ?



Vilnius@Thomas Manneke

courtesy@galerie Bertrand Grimont


Quel rapport établir, par exemple, entre une vue aérienne de Vilnius, prise en noir et blanc et une autre photographie de la même série, cette fois_çi en couleur où deux filles regardant un cours d’eau ?

Un sentiment de confusion renforcée par le choix non unitaire des tailles, différentes bien souvent, des supports qui mêlent argentique et numérique, aussi du passage, à priori arbitraire, du noir et blanc à la couleur selon les sujets… Tout cela, parait, dans un premier temps, jouer, chez Thomas Manneke, de la volonté d’égarer notre regard et nous engager dans la voie d’un flottement incertain, où s’efface tout discours établi sur le réel.

Une vision subjective sans objet tangible dans une première instance.

Nous nous retrouvons dans un entre-deux, un no man’s land, qui nous entraine et joue insensiblement entre documentaire et intimisme…



Liège@Thomas Manneke

courtesy@galerie Bertrand Grimont


Mais peu à peu, ces photographies se révèlent, viennent entamer un dialogue discret et subtil entre elles et avec nous: une attitude, un regard, une posture… Des constantes se dessinent, les architectures sont photographiées comme vidées de ses habitants dont on ne perçoit que les traces.

Bientôt se construisent des bribes de narrations laissées en suspens. Des liens se tissent… Narrations internes à chaque photographie, comme avec cette gamine assise, solitaire, parmi les adultes et les détritus d’une fête, ayant comme seul compagnon, la statue d’un personnage, comme ce garçon, bière à la main, qui semble avoir grandi trop vite, sort_il d’une fête avec son costume ? Ou encore comme dans cette série lithuanienne où le même personnage, une fille, est prise en des contextes et situations différentes : en soirée, puis seule, dans uncimetière et enfin, plongée dans une contemplation vers un extérieur invisible

Manneke nous parlent de mise à l’écart, de périphérie, dans un léger pas de côté qui vient esquisser la solitude des personnages, l’universalité de leurs conditions. Qu’importe de vivre à Liège, Odessa ou Vilnius, d’être cette fille de Vilnius contemplant par une fenêtre un horizon invisible, ou ces tombes illuminées d’un cimetière, d’être cette danseuses sur une piste de danse... Ou cette gamine assise celle au milieu d’adultes en fête.



Liège@Thomas Manneke

courtesy@galerie Bertrand Grimont


Le temps se fige, un temps suspendu à la lisière entre enfance et monde adulte, Thomas Manneke se fait le témoin d’une enfance contrariée à la recherche d’un point de fuite invisible. Une sourde mélancolie s’empare de nous, un « je ne sais quoi » indéfinissable entre nostalgie et mélancolie, la « saudade » nous prend dans la densité des regards, de ces portraits, de ces architectures vides…

Une sculpture à Liège ressemblant s’y tromper à une œuvre du réalisme-socialiste, représente un homme. La bouche de la sculpure est maquillée de rouge, en fait un lieu de drague homo… Cette fillette placée entre les jambes de deux adultes, cette autre fillette, seule sur son banc entourée d’adultes fétards… Là encore, Manekke nous confronte à la périphérie des choses…

Perce alors en filigrane, un regard sur les laissés pour comptes, sur leurs silences… Et ce, sans spectaculaire… Manekke glisse ses photographies dans les interstices, dans ces espaces laissés vacants où se rejoignent intime et documentaire.


Vilnius @ Thomas Manneke

courtesy@galerie Bertrand Grimont


A côté d’une jeune lithuanienne, un jeune homme, masqué, regarde un hors-champ. Deux filles de dos, observent le cours insaisissable d’une rivière…

Une dernière encore ; un peintre prend la pose, face à son chevalet, derrière lui, un masque. Cette reprise toute personnelle des « Ménines » de Velasquez, engage un face à face, avec le photographe, avec nous, de façon presque ironique.

Un face à face entre le peintre et son modèle, entre le photographe et son sujet... Serait-ce une réponse, une piste ?

Thomas Manneke nous invite t-il à perdre notre regard...


Thomas Manneke

"Vilnius, Odessa, Liège"

Jusqu'au 31 Décembre 2010

Galerie Bertrand Grimont

47 rue de Montmorency

75013 Paris


CONTACT:
info@bertrandgrimont.com
+0331 42 71 30 87
+0336 85 45 01 30


03/12/2010

Hors des murs









@galerie Nathalie Obadia

« Loft » présenté par Joanna Vasconcelos s’inscrit dans la lignée des thématiques qu’elle aborde depuis quelques années déjà : architecture, design, mode… Thématiques toujours abordées sous le prisme critique du féminisme.

Constitué d’espaces entièrement ouverts, un Loft est, par définition, réalisé dans un ancien atelier, entrepôt ou usine. Celui-ci garde souvent l’empreinte, les vestiges de son activité passée. Le « loft » est un lieu d’habitation détourné, un lieu de vie, aux connotations particulières qui renvoient au monde du travail et à la production industrielle…

Avec « Loft », Joana Vasconcelos transforme la galerie Nathalie Obadia en cet espace particulier. La galerie est subdivisée par des parois recouvertes de différentes surfaces utilisées pour la décoration des intérieurs (marbre, papier peint…) Ces espaces ainsi créés se voient attribués une fonction spécifique : séjour, cuisine, salle de bain, chambre… Ces espaces de vie sont traversés par des formes rhysomiques et tentaculaires. Celles-ci viennent prendre possession de l’espace, l’envahissent, l’obstruent, contrarient le parcours, la déambulation de pièces à pièces. Ces formes sont faites de patchworks de tissus de différentes matières, de dentelles, de tricots…


@galerie Nathalie Obadia

Joanna Vasconcelos a souvent pris en charge et s’est souvent préoccupé dans son travail de la question féminine.

Ici, l’artiste positionne son travail sur l’idée de foyer, de domesticité, lieu souvent dévolu, dans notre société, à la femme, considérée comme la maitresse de maison, gardienne de la domesticité… L’image de Pénélope, épouse fidèle et passive, tissant dans l’attente d’Ulysse, nous vient à l’esprit. Mais ici, surprise, Pénélope déborde, envahit, sort des murs. Ces formes tentaculaires sont comme autant d’échappées belles, de revendications face à l’enfermement, aux servitudes quotidiennes dans lesquelles sont encore tenues les femmes, dans notre société occidentale pour ne parler que d’elle...

@galerie Nathalie Obadia

Dans ce « loft », l'artiste provoque une reprise en main de l’espace par le féminin : tricots,tissages, travail textile sont généralement assimilés à l’univers féminin.

Vasconcelos joue donc de la métaphore en rendant visible les parties cachées d’une maison : tuyauteries, fils électriques, qui transmettent, font circuler l’énergie nécessaire à la viabilité du lieu mais aussi évacuent, vidangent, métaphore du féminin qui s’échappe ainsi du rôle imparti... Ils ne sont plus dissimulés dans les plinthes ou dans les murs, mais exposés au grand jour, en de joyeuses couleurs, en une exubérance toute baroque.

Joanna Vasconcelos enclenche à travers son dispositif un jeu entre intime et publique, ici l’intime vient envahir l’espace, jeu aussi entre le détail et le monumental, pièces différenciées des patchworks, minutie des broderies et expansion des sculptures.

@Joanna Vasconcelos

Vasconcelos engage souvent son travail dans une pratique du détournement, ces détournements sont souvent ludiques, prenant pour matière généralement des objets usuels et qui, par ce biais, engagent la réflexion sur nos aliénations.

Dans « Loft », Joanna Vasconcelos nous invite donc à une réflexion sur la condition féminine, au monde du travail, sur cette double peine infligée aux femmes devant cumuler activité professionnelle et activité domestique. Mais la réflexion déborde le cadre de cette condition féminine et s’élargit sur le devenir de nos société post-industrielles -la production textile, par exemple, souvent dévolue aux femmes, employées comme ouvrières, a été quasiment délocalisée – qui recycle ce passé industriel révolu et en révoque l’histoire ouvrière de nos sociétés « avancées » soit dans les oubliettes de la mémoire ou alors dans les écomusées.


@joanna Vasconcelos


A ces oublis, à ces omissions "volontaires?", à ces pertes, Joanna Vasconcelos oppose un travail artisanal, qui se réapproprie le local, fait vivre un savoir-faire (en l’occurrence, ici, portugais) face à un global réifiant, vendeur d’uniformité et ce, sans pathos inutile, stérilisant et surtout sans sombrer dans la notion inhumatrice de patrimoine...


"Loft" Joanna Vasconcelos

jusqu'au 18 décembre

Galerie Nathalie Obadia

3 rue Cloitre Saint-Merri

75004 Paris