Grandes
plaques lisses de polystirènes, trouées, percées,
scarifiés, griffées, avec une application méthodique, de façon
sérielles ou bien désordonnées. Ainsi se présente le travail de
Dominique de Beir. Un travail abstrait, et qui semble prendre la
peinture à rebrousse-poil..
L’artiste
se revendique pourtant comme peintre. Malgré cela, rien ne laisse, a
priori, transparaître cette revendication dans son travail que l’on
pourrait plus aisément assimiler à un travail de sculpteur. Cette
aspiration à la peinture s’explique par son grand attachement à
la tradition picturale, allant des primitifs à Lucio Fontana,
passant aussi par les fauves et les Minimalistes. Un constant recours
au vocabulaire de la peinture : aplats, lavis, transparence,
profondeur etc… Une œuvre située entre l’Action Painting et
Support-surface.
L’autre
particularité de Dominique de Beir est, à l’instar de Soulages,
la création de ses propres outils qui lui servent à inscrire sur la
surface plane et lisse, les effets qu’elle recherche. Et quels
drôles d’outils ! Plus ressemblant à l’attirail du
jardinier que celui d’un peintre. Outils d’un paisible jardinier
ou instruments de tortures, griffes, poinçons, pics, aiguilles,
fourches digne de l’inquisition…
"Outils de ma passion" |
Une
peinture de l’onction, de la révélation
En
grec, Christos, désigne la personne qui a été teint, enduit ou
couvert d’un liquide. Il y a là acte de peinture mais aussi de
consécration notamment pour les actes funéraires qui préparent le
corps avant l’enterrement : l’onction. Mais cette onction
est aussi l’acte par lequel une surface se trouve atteinte :
frottements, caresses mais aussi écorchement.
« L’évènement
de la Passion christique fait culminer l’écorchement, bien sûr
mais aussi l’aune de couleur et même l’onction. On proposera
cette hypothèse :dans le sacrifice de la Passion le Christ est
oint (enduit et consacré) par son propre déchirement, c’est-à-dire
par son sang. Il s’y produit par là un moment ultime de visualité,
un moment de vérité de sa couleur »
Georges Didi-Huberman, L'image ouverte, Gallimard, Paris
"Zones cas particulier |
Dominique
De Beir, par son acte pictural, emprunte à ces trois assertions du
mot « onction ». Les œuvres de l’ar(tiste sont en
quelque sorte dépositaires de ce fond iconographique du
christianisme. Par tradition, par filiation, elle s’inscrit dans
l’une des grandes thématiques de l’histoire de la peinture
occidentale : la Passion. Mais la passion inscrite dans les
Evangiles apocryphes, là où s’évoquent, Véronique, voilements
et dévoilements. Irruptions, déchirements, éclipse, obscurité….
L’artiste taraude, creuse, sillonne, dévoile. Tout dévoilement
implique un caché. Ce caché, elle ne vient pas le faire émerger à
la surface, à l’instar de ces femmes voilées où en Burqa dont
les visages en deçà sourdent du linceul qui les recouvrent.
"Métal 1" |
Ce qui
nous est dévoilé, elle le laisse sciemment en creux, en cavité,
profondeurs et béances. Ainsi que la révélation de la couleur
toujours discrète chez Dominique De Beir, la rare gamme de couleurs
quand elle apparait, vient de l’intérieur de la matière. Si
couleur, il y a, elle surgit comme des véroniques comme dans sa
série où des taches rouges viennent maculer de fines feuilles
blanches .La vera icona, thème récurrent dans les Evangiles
apocryphes. Cette vera icona fait irruption du fond de la texture
jusqu’à la surface.
Chez
l’artiste donc, pas ou peu de recouvrements, mais apparitions.
Dévoilement parfois à la limite de la déchirure définitive.
Approche de la fragilité de toute matière, où les strates se
découvrent, peu à peu, jusqu’à devenir filigranes. Un jeu avec
l’infra-mince. Et parfois le trou…
Ces
limites constituent donc autant de points de ruptures contre lesquels
Dominique De Beir joue. Un jeu poussé jusqu’à la mort symbolique
de l’œuvre , le raté qui aurait comme agonie, la matière
transpercée. Ces modes opératoires révèlent aussi une grande
maitrise de la lumière, car paradoxalement les trous, les cavités
obscurcissent mais irradient, cette irradiation prend toute sa
dimension dans les installations de l’artiste, la lumière passe
par transparence, créant des variations, en cela aussi Dominique De
Beir se fait peintre.
Plus
qu'un geste opérant une blessure, cette attaque radicale correspond
d'abord à un exutoire calmant,
une litanie agitée.Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de
la profondeur. Réalisées de manière pulsionnelle, ces actions "appel d'air" envahissent et creusent la
surface de manière éclatée, la matière se déplace et rend visible des effleurements, des grouillements,
des absences. Parfois, ce sont des zones de chocs et parfois des cimetières de microbes.
Les marques portées sur ces surfaces sont la représentation de mes outils en action qui'mpliquent pour
chacun une mise en œuvre particulière.
une litanie agitée.Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de
la profondeur. Réalisées de manière pulsionnelle, ces actions "appel d'air" envahissent et creusent la
surface de manière éclatée, la matière se déplace et rend visible des effleurements, des grouillements,
des absences. Parfois, ce sont des zones de chocs et parfois des cimetières de microbes.
Les marques portées sur ces surfaces sont la représentation de mes outils en action qui'mpliquent pour
chacun une mise en œuvre particulière.
« Notes »
Dominique De Beir
"Portant 1" |
Il
serait difficile de ne pas trouver des similitudes entre Dominique De
Beir, avec l’œuvre de Lucio Fontana, notamment avec cette œuvre
devenue célèbre qu’est la toile rouge fendue en son milieu. Si
nous filons la métaphore biblique, nous pouvons trouver un rapport
évident avec les écrits de Luc, Matthieu et Marc, lors de la mort
du Christ, le voile du Temple qui forme l’entrée du Saint des
Saint et qui masquait la vue de l’Arche d’Alliance, se déchire
en son milieu. Lucio Fontana reprend ce thème ainsi qu’il se
réfère au sexe féminin, et se réapproprie « l’origine du
monde » de Manet. Mais lui aussi, nous laisse aux portes du
Saint des Saints… Et porte sur sa toile une marque indélébile !
Celle de la fente !
« Chercher
au-delà de l’image-plan, un espace obsidional de la vision et à
tâcher d’y fomenter une prodigieuse conversion, un symptôme :
versant vivace d’un deuil forclos, versant hystérique du
stigmate »
Didi-Huberman
in L’image ouverte, Gallimard, Paris
Dominique
De Beir répète ce geste fondateur de Fontana, mais va plus loin !
Il y a recherche d’émergence de la profondeur vers la surface,
révèlation, dévoilement… Dominique De Beir rejoue le déchirement
du voile, de la peau, fouille dans les entrailles de l’épaisseur.
Un jeu entre image pleine et image vide s’instaure. Notre regard
qui appréhende d’abord la totalité , ne puis s’empêcher de
venir scruter ces trous, ces griffures… Le regard se disloque, se
fragmente…
« C’est
en prêtant son corps au monde que la peinture change le monde »
Merlau-Ponty
in L’œil et l’esprit
"Animal 1" |
Différences
et répétitions : une gestuelle
Ce
rapport entre profondeur et surface ne doit pas occulter le mode
opératoire de Dominique De Beir. Le corps même de l’ artiste se
met en jeu. Dominique de Beir travaille généralement son matériaux
posé au sol et à l’instar de Jackson Pollock, s’approprie le
modèle de l’Action Painting, et se met à percer, perforer son
support. Dominique de Beir y reconnait une part de hasard,
d’aléatoire mais le choix de l’outil, lui, laisse sa propre
trace ; un pic n’aura pas le même effet sur la matière,
qu’un frottement. Percer, ouvrir, tarauder n’ont pas les mêmes
effets formels. Cette appropriation du matériau, cette façon
d’envisager la peinture, la rapproche des recherches formelles de
Support-Surface, qui délaissent le sujet en faveur du matériau
constitutif de la peinture (cadre, toile). Dominique De Beir
s’approche d’un travail comme celui d’un Viallat, utilisant
pour certaines œuvres la notion de pattern.
Dans sa gestuelle même,
il y a répétition, ainsi que dans certaines séries de tableaux.
Cette mise en action du geste rejoint le solo du jazzman qui évolue
dans une grille musicale donnée, développant des thèmes, jamais
semblables mais toujours en accord avec cette grille d’accords.
Lacérer,
trancher, griffer, perforer ne disent rien en tant que tels mais
créent un « événement ».
« Lorsque
le scalpel tranche la chair, il n’ajoute pas un être nouveau dans
le monde, ni une qualité nouvelle dans les choses, mais produit un
nouvel événement »
Arnaud
Bouaniche in Gilles Deleuze, une introduction, Agora, Paris
Peut-on
considérer Dominique De Beir comme une peintre de l’évènement,
au sens où l’entend Deleuze, certainement oui ! Avec comme
écrin, telle sa montagne Sainte-Victoire, les hautes falaises du
littoral picard, aux blancheurs immaculées, elles=même taraudées,
malmenées par l’incessant ressac de la mer…