Texte initialement mis en ligne sur http://www.nordartistes.org/
Manifester seul à Rostock, une pancarte à la main, devant des passants intrigués, diriger une Harmonie municipale dans la rue, vêtu d’un juste-au-corps noir, de même : composer la musique et diriger un Orchestre de chambre… Jusqu’où ira François Lewyllie dans ses facétieux happening ou performances ? Il ose tout et sans complexe !
Celui-ci pratique l’art du dérisoire et pourrait paraître, au premier abord, comme un joyeux iconoclaste, qui, pour un peu, se payerait la tête du client. Certes cette dimension, bouffonne, burlesque, il la revendique pleinement. L’art est-il vraiment aussi sérieux pour qu’on ne puisse en rire, s’en bafouer, le ridiculiser, le désacraliser ?
« Séduire soit. Mais aussi bien railler, se moquer, rendre (et se rendre) détestable… Cette tribu (d’artistes), pour disparaître qu’elle soit, s’accorde sur ce point : le mot « art » s’écrit sans majuscule, il s’agit de le rendre quelconque « sans qualité » dira-t-on après Robert Musil, de la tirer au mieux vers le bas. Le Low plutôt que le High, parce que le moins, le mineur, le soustractif eux aussi méritent d’être célébrés ».
*Paul Ardenne in « Art le présent »
François Lewyllie fait partie de cette veine, il ne peut s’empêcher de truffer ses œuvres de pièces saugrenues même dans ses installations les plus sérieuses. De la belgitude, ou plutôt de la « belge attitude » se love dans ses travaux. Dans chacun d’eux vient se mêler le grain de sel qui fait dérailler le bel ordonnancement auquel on s’attendrait. Objets dérisoires et jeux de mots parfois limites, viennent nous interroger et nous oblige à nous positionner dans une forme de perplexité, est-ce de l’art ou du cochon ? Lewyllie se situe dans et revendique cette lignée belge qui passe de Magritte à Broodthaers, en passant par un artiste comme Eric Duyckaerts ou à un degré moindre Wim Delvoye, le mouvement Fluxus prend aussi toute son importance. Une lignée imprégnée de ce surréalisme Belge si particulier et beaucoup plus « fun » que le sérieux d’André Breton. Il y aurait bien des deux mon capitaine ! De l’art oui ! Du cochon dans le désamorçage des codes, dans l’impertinence, dans les jeux de mots faciles qu’il multiplie avec plaisir : comme dans une œuvre intitulée « Tauromaché ». François Lewillie explore le côté absurde et dérisoire de la langue, la dynamite, pour en créer une dimension ludique, enfantine, presque. Un héritage là encore du surréalisme belge. Le « ceci n’est pas une pipe » de Magritte, les machines volantes de Panamarenko. Lewillie joue de l’absurdité des choses, les remet à leur place, les désacralise. Le spectateur se perd en conjecture mais y retrouve de son esprit joueur, grâce à cette impertinence face à l’œuvre d’art bien tempérée.
Ses réflexions, sa démarche sont plus sérieuses qu’il n’y paraît et dépassent la blague de potache indiscipliné. Son travail vient titiller celui qui regarde par de multiples pièges, aux contours pas toujours discernables du premier coup d’œil.
Dans « Les animaux », par exemple, série vidéo consacrée au sujet éponyme, Lewyllie s’amuse, interpelle des chevaux, imite lui-même le cri de la spatule d’après une définition écrite dans un livre, nous entraîne au balancement d’un éléphant (répétitif jusqu’à l’ennui), décompose la chute d’un chat et encore, et encore… Tant de processus se rapprochant des vidéos-gags télévisés, mais aussi une réflexion sur notre façon d’observer, de percevoir ce qui nous entoure, de venir fouiner dans l’anodin d’une scène somme toute quelconque.
« Avec la porcelaine et le but de football, la bonbonne à gaz ou la bétonneuse en bois, je me confronte à l’impuissance de faire un message élevé à travers un objet banal… J’essaie que chacune de mes pièces soit héroïque, mais je laisse tomber à chaque fois. Les blasons sont héroïques, mais ils sont sur des planches à repasser ».
*Wim Delvoye « Entretien avec Nestor Perkal » in Wim Delvoye, Musée départemental de Rochechouart
François Lewyllie nous amène à des confrontations, non pas similaires à celle de Wim Delvoye mais avoisinantes, dans ses installations constituées de matériaux pauvres, voire de matières fécales qui se disputent la place avec des objets aux matières plus nobles comme le bois et la porcelaine.
Se disputer la place, là aussi nous touchons à une problématique importante du travail de Lewyllie. Il ne s’agit pas d’interpréter à tout prix une installation, cette interprétation est l’un des dispositifs qui piège le regardeur, mais plutôt de scruter du côté des agencements, des écarts entre les objets, entre les échelles de tailles. Plusieurs des objets chinés, ou à valeurs sentimentales, sont récurrents dans les installations de Lewyllie. Il crée son propre vocabulaire, une boîte à outil dans lequel il vient piocher, des outils et des moyens qui viennent jouer, se déjouer, s’agencer au grès de son inspiration, de ses envies.
La prise en considération de l’agencement des lieux où l’installation prend place, est un élément important, voire primordial pour l’artiste. Il prend un soin particulier à jauger, à disposer, selon la topographie du lieu.
On peut ajouter à tout cela que Lewyllie est un excellent dessinateur, il entretient d’ailleurs un rapport très particulier avec le dessin, ceux-ci sont omniprésents dans ses installations. Il les traite de en utilisant différents papiers, dessins à main levée mais aussi d’après modèles dont il ne prélève souvent qu’une partie, l’isolant de son contexte.
François Lewyllie entretient aussi des rapports particuliers à la musique, souvent en dilettante et se livre à des performances musicales allant de l’improvisation au cor qu’il traite dans l’esprit de John Cage avec son fameux « piano préparé ». Lewyllie prend la direction d’une formation classique qui interprète ses propres compositions, n’ayant cure des défauts et imperfections qu’il provoque. La musique prend donc une grande importance dans les créations de François Lewyllie.
Dessins, musiques, assemblages, ready-made, écriture…
Est-ce toujours « de l’art ou du cochon » chez François Lewyllie ?
Par Valéry Poulet
Un très grand merci à Isabel Guérin de Nord Artistes www.nordartistes.com